[CORSE-MATIN] Entreprises : les surcoûts “cachés” de l’insularité acte II

[CORSE-MATIN] Entreprises : les surcoûts “cachés” de l’insularité acte II

En juin dernier, l’étude du cabinet Goodwill avait alimenté le débat sur les difficultés insulaires. Pour ne pas refermer le dialogue avec Bercy, la CCI de Corse a relancé une enquête pour décrocher de nouveaux fruits… fiscaux

Moins d’un an après le premier rapport adressé à Bercy, la CCI de Corse s’apprête à relancer une offensive économique. Elle a affiné sa méthodologie, validé ses acquis et corrigé ses faiblesses pour servir une nouvelle copie sur l’état des entreprises insulaires. Les surcoûts “cachés” de l’insularité acte II sont en passe de s’écrire.

Depuis le mois de mars, un questionnaire a été adressé à l’ensemble des acteurs économiques de l’île. Commerçants, chefs d’entreprise, artisans ont été sollicités non pas pour mesurer leurs résultats mais toujours pour évaluer le champ des handicaps qu’ils ont traversé pour les obtenir. C’est ce qui faisait la particularité du rapport “inédit” livré par le cabinet Goodwill management et qui a donc été conservé.

La logique ? Évaluer le coût du chemin à parcourir pour atteindre les mêmes objectifs que les entrepreneurs du Continent. Mais, cette fois, le modèle doit “gagner en robustesse et en précision”, c’est ce qui est confirmé par Jean Dominici, président de la CCI de Haute-Corse.

Maintien du crédit d’impôt (CIIC) décroché

Les propositions et orientations formulées par l’inspection générale des finances (IgF) en octobre dernier étaient en partie un aveu de la réussite du rapport version 1. Il s’est notamment traduit par l’annonce du maintien et de l’extension du crédit d’impôt Investissement Corse (CIIC) mais aussi de l’évolution des crédits recherche et innovation. Autres actions directes : la création d’une zone de développement économique prioritaire. Pour la Chambre consulaire régionale, la corrélation entre leurs travaux présentés et lesdites mesures fiscales est incontestable. “C’est écrit”, rappellent des élus consulaires.

Si ce rapport a porté ses fruits, l’attention portée aux orientations de l’IgF a permis de nourrir – et mûrir – la certitude que “c’est insuffisant. II faut continuer”, ajoute le président. Par cette nouvelle enquête, la CCI de Corse semble réaffirmer sa volonté de poursuivre le dialogue avec Bercy en espérant ainsi cueillir de nouvelles mesures fiscales. Peut-être aussi imposer de rouvrir ici et ailleurs, le chapitre sur l’économie corse. Leur forcer la main, étude à l’appui. Et in fine, ramener le sujet au centre du grand débat… local. “On a besoin d’objectivité pour défendre les intérêts des entreprises locales. Cela a marché une fois donc on poursuit” .

Le coût du foncier entre en jeu…

Le rapport de l’IgF qui fait autorité a donc été épluché, les critiques listées pour donner lieu à un nouveau questionnaire. Les questions ont été rafraîchies, la méthodologie d’exploitation des données a été modifiée et le tissu entrepreneurial a été mobilisé. Première correction apportée, le nombre d’entreprises interrogées. Initialement au nombre de 400, l’objectif affiché est d’en atteindre au moins 800, voire 1000. Pour l’heure, 400 ont déjà répondu. Les feux sont donc au vert.

Un questionnaire plus technique aussi pour gagner en efficacité. À combien estimez-vous la valeur totale de votre stock en euros ? Quelle est la part du sur-stockage dans votre stock ? Le volet foncier fait aussi son entrée avec des questions relatives au montant du loyer mensuel des locaux et à la superficie ? Un raisonnement qui découle du “désordre foncier du territoire corse” mentionné en introduction et de son impact sur les installations des entreprises. Elles devront aussi communiquer leur chiffre d’affaires et leur identité. L’anonymat est levé.

Une étude “solide” pour imposer la question économique

Le surcoût lié aux aléas climatiques jugé “non significatif” été balayé et remplacé par celui relatif aux carburants. La mise à jour a tenu compte des dernières actualités. Nouvelle passe également sur le transport avec “des coûts au kilomètre plus importants”. À cela s’ajoute la distance parcourue souvent rallongée par le réseau routier et la fréquentation touristique. Question induite : “Les difficultés de transport routier engendrent-elles des pertes d’heures travaillées pour les employées de votre entreprise ?”

Déplacement, recrutement, sur-stockage, foncier et carburant sont les chapitres principaux du prochain tome à venir sur les impacts économiques de l’insularité. Des freins levés parfois à coups d’aides mais qui ne parviennent pas à compenser les handicaps retenus. En donnant la possibilité aux entreprises, chacune avec ses particularités et sa taille, de participer à cette enquête, la CCI de Corse semble vouloir lever le voile sur toutes les difficultés qui ne se traduisent pas par des lignes comptables.

Autre point non négligeable, l’introduction d’un comparatif entre la Corse et d’autres territoires répertoriés comme “semblables” par la Banque de France et l’IgF. On pense notamment à la Creuse, l’Aude, le Calvados ou encore les Pyrénées-Orientales et les Alpes de Haute-Provence. Des données Pôle emploi pourraient aussi servir d’appui pour analyser le taux de salariés saisonniers au volet recrutement.

Pour booster la collecte, les services associés à l’enquête ont multiplié l’envoi de courriels et les appels. Les réseaux sociaux sont entrés dans la boucle pour atteindre davantage de cibles. Convaincre les entreprises de se prêter à l’exercice, c’est s’assurer des garanties de réussite. De la fiabilité.

L’opération va se poursuivre jusqu’à la mi-mai. Une fois la collecte terminée, les données traitées et le rapport ponctué, l’étude sera mise sur la table des élus insulaires. Étape finale : Bercy avant l’été.

LE CHIFFRE : 712 millions à 1,5 milliard d’euros, c’était le montant estimé des surcoûts de l’insularité lors de la première enquête de terrain remise au ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, en juin 2018.

Freins à la compétitivité

Le premier argumentaire présenté par le cabinet Goodwill management avait permis de mettre en exergue une singularité insulaire sur le plan économique. De chiffrer l’impact de l’insularité sur la compétitivité des entreprises locales. Il était ainsi ressorti que 70 % des entreprises rencontrent des difficultés d’approvisionnement dues au transport maritime. 55 % sont contraintes de surstocker pour jongler avec les demandes insulaires et les délais d’acheminement. En chiffres, cela se traduit par un surcoût de 0,52 % du chiffre d’affaires. Les charges d’approvisionnement génèrent elles-mêmes un surcoût moyen de 1,3 % du CA.

La particularité corse pourrait ainsi se résumer en ce cumul de contraintes et de surcoûts qui pèsent dans l’exercice financier. Pour le commerce de détail et de gros, l’évaluation du surcoût était estimée en 2018 à 328 millions d’euros. Il était évalué à 197 millions pour les entreprises du BTP et 123 millions pour les professionnels de la restauration et de l’hôtellerie. La preuve chiffrée “que l’égalité des chances” n’est pas respectée par rapport au Continent.

Pour le contexte, rappelons que 95 % du tissu entrepreneurial est composé d’entreprises de moins de dix salariés qui affichent un chiffre d’affaires inférieur à 750 000 euros.

Qu’en sera-t-il de la nouvelle lecture qui sera proposée fin juin ?

JULIE QUILICI-ORLANDI