[Corse-Matin] « Dans l’attente d’exonérations massives des charges »

[Corse-Matin] « Dans l’attente d’exonérations massives des charges »

Le secteur économique est à l’arrêt, les soignants en première ligne et la population confinée. Une « crise sans précédent en temps de paix » qui inquiète Jean Dominici, le président régional de la CCI. Il en appelle à lutter pour préparer l’après Covid-19

Bruno Le Maire a déclaré : « L’entreprise est un lieu de sécurité pour les salariés et elle doit le rester, même face à cette crise sanitaire ». Comment réagissez-vous à cette formule ?

Oui, je pense qu’il a entièrement raison, et l’ensemble des chefs d’entreprise ont tous adopté des mesures sanitaires très rapidement pour sécuriser leurs salariés, leurs locaux et bien sûr leurs relations clients pour ceux qui sont autorisés à travailler. La gestion de crise est naturellement dans les mains de l’État qui coordonne l’ensemble des actions et mesures.

La préfecture a activé une cellule de continuité économique, travaillez-vous à leurs côtés ?

Oui, nous participons aux trois cellules, celle de continuité économique et les deux du transport maritime et transport aérien avec nos services et directions concernés.

Combien d’entreprises en difficulté y sont déjà recensées ?

Les autorités ont tenu à désigner les services déconcentrés de l’État, et donc la Direccte, comme points d’entrée uniques d’inscription des entreprises en difficultés. Le dernier point que nous avons reçu recense 520 contacts. Mais je pense qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, car je suis convaincu que toutes les entreprises de Corse sont déjà fortement impactées, ou le seront à très court terme.

Pouvez-vous rappeler les mesures nationales annoncées pour sauver les entreprises ?

Les annonces présidentielles et ministérielles se succèdent à un rythme quasi quotidien, et cela marque une volonté très forte de faire face à la fois à la crise sanitaire, mais aussi à la crise économique sans précédent. Les deux principales mesures concernent l’accès aux ressources de trésorerie, dans l’immédiat auprès de BPI, et bientôt de toutes les banques ; l’autre, le chômage partiel étendu et adapté pour y intégrer le maximum de salariés. Notre ambition est d’y rajouter une mesure locale très forte et dimensionnée pour aider nos chefs d’entreprise et commerçants.

Quelles sont les conditions pour bénéficier de l’aide de 1 500 € pour toutes les petites entreprises, les indépendants et les microentreprises grâce au fonds de solidarité ?

Pour l’instant, les modalités ne sont pas encore diffusées. Apparemment, il y aurait une part automatique de 1 500 €, et l’autre sur instruction au cas par cas. Nous attendons des indications plus précises pour aider au montage des dossiers, mais je peux vous dire sans attendre que c’est très nettement insuffisant au regard des besoins qui remontent du terrain. L’attente réelle et légitime que nous soutenons et que nous portons, c’est plutôt une exonération massive de charges sociales et d’impôts, et pas simplement des étalements.

Justement, les dispositifs régionaux sont-ils mobilisés ?

Nous avons proposé à la Collectivité de Corse, il y a déjà une dizaine de jours, la création d’un fonds de soutien régional en complément des mesures nationales auquel seront invités à participer tous les acteurs publics concernés et les banques. L’idée est de financer l’année blanche qui se profile, sans frais et sans intérêts, par une avance remboursable à taux zéro amortissable sur 4 à 7 ans avec un différé possible pour le premier remboursement après la saison 2021.

Ce fonds, s’il est mis en place, nous l’espérons dans les prochains jours, sous l’égide de la Collectivité de Corse et de l’Adec, avec notre participation, pourra développer un effet de levier de 120 M € pour sa première tranche et soutenir 1 500 ressortissants.

Cela sera-t-il suffisant pour espérer que toutes se relèvent de cette crise…

Je reprendrai une formule qui est actuellement couramment utilisée dans le domaine économique : nous rentrons en terrain inconnu. Personne ne connaît ni la portée ni la durée de cette crise et donc personne ne sait en pronostiquer sérieusement les effets.

Dans ce cadre, rien n’est suffisant et pour l’instant, seule compte la lutte. Toutes les forces, toutes les ressources doivent être mises en œuvre, sans attendre et sans compter.

Tous les commerces non indispensables sont fermés depuis samedi. Quelles sont les principales questions de leurs dirigeants ?

La première des questions des dirigeants n’est pas celle de savoir s’ils vont être aidés ou pas. Au risque de vous surprendre, la première est sanitaire, tous les acteurs économiques s’inquiètent en premier lieu des effets de la crise sur la population, leurs salariés, leurs familles. La seconde est liée à la durée de ces fermetures et à la durée de la crise. Car les commerçants ne veulent pas être aidés ou assistés, par nature, ils préfèrent tous travailler. Ce n’est qu’en désespoir de cause qu’ils nous questionnent sur les dispositifs qu’ils peuvent mobiliser pour tenter d’éviter la faillite et la fermeture définitive.

Quel est le profil des entreprises qui peuvent continuer à travailler malgré la restriction ?

Il n’y a pas de profil type, même si l’on observe une activité résiduelle plus soutenue dans l’alimentaire. Les entreprises sont impactées de toutes parts, soit par l’absence de salariés, l’absence de clients ou encore de fournisseurs ou de services administratifs. C’est une crise sans précédent et l’économie vient de subir, en temps de paix et de mémoire d’homme, un arrêt d’une brutalité sans précédent.

Les transports sont touchés de plein fouet. Comment fonctionnent les aéroports de Corse dont la CCI est gestionnaire. Quid des agents ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec l’office des transports et les compagnies sur un programme minimum, tant sur les ports que les aéroports. Les trafics passagers sont devenus marginaux et l’essentiel de l’activité est celle du fret maritime qui doit à tout prix être préservée et maintenue pour garantir l’approvisionnement de l’île. Nous avons évidemment pris des dispositions pour protéger nos agents des conséquences sanitaires de la crise, mais aussi en préservant leur situation professionnelle, sociale et salariale, par la continuité et la permanence de nos services centraux.

Cette période est généralement celle des réservations pour les prochaines vacances d’été. Avez-vous déjà une estimation des baisses observées ?

Oui, nous avons interrogé nos ressortissants du secteur de l’hébergement marchand à deux reprises et je les remercie de bien avoir pris du temps pour répondre. Dorénavant, ces estimations seront établies par une enquête conjointe avec l’agence du tourisme de la Corse.

À ce jour, elles sont comme vous l’imaginez, catastrophiques. Tous les indicateurs ont plongé et, sur les trois prochains mois, non seulement on n’observe plus du tout de réservation pour 90 % des hébergements, mais plus de 50 % des réservations qui avaient été enregistrées ont été annulées.

Un tel retard est-il rattrapable alors que la crise est annoncée pour durer ?

Non, c’est impossible. Dans les services, le commerce, les métiers du tourisme, l’hébergement et la restauration en particulier, ce qui est perdu est perdu et ne se rattrape jamais. Et comme l’économie de la Corse est construite sur ces métiers-là, les effets directs du retard que nous sommes en train de subir, non seulement ne seront jamais rattrapés, mais ils vont avoir des effets de propagation, par leurs conséquences indirectes, qui vont probablement mettre des années à se dissiper.

La Corse avait connu une saison touristique 2019 en demi-teinte, puis une grève maritime en début d’année et à présent cette crise sanitaire mondiale. Des entreprises et des commerces étaient déjà fragiles . Arriveront-ils à éviter la faillite après le Covid-19 ?

Je le répète, tous les commerces et toutes les entreprises de l’île sont ou seront gravement impactés, les plus fragiles le seront les premiers et le sont déjà pour la plupart, les autres suivront. Les réactions et les mesures nationales sont importantes, mais encore insuffisantes, et elles doivent être complétées et améliorées pour produire un réel effet bouclier et protéger notre économie de la faillite générale.

En votre qualité de président consulaire, êtes-vous inquiet pour l’économie insulaire ?

Oui, comme vous avez pu le noter, je suis très inquiet. Mais l’inquiétude, comme la peur, n’évite pas le danger. Notre mission n’est pas de nourrir de l’anxiété ou de la propager, au contraire, notre rôle est de lutter contre la crise, d’assister nos chefs d’entreprise et nos commerçants au quotidien et de mobiliser l’ensemble de nos ressources humaines, techniques et financières à leurs côtés. Et même, pour aller plus loin et positiver, au risque de paraître saugrenu car on ne lutte pas avec un esprit de perdant, notre rôle est de travailler, déjà et sans attendre, à la sortie de crise et au rebond.

Nous devons anticiper et nous préparer à agir fortement, car la concurrence sera féroce entre les différentes régions touristiques dès que les effets de la crise s’estomperont et que les flux recommenceront à circuler. Il faudra que la Corse soit positionnée et bien positionnée pour ne pas rater le premier train qui va passer, car les places seront chères et le second risque fort de ne pas passer tout de suite.

La ligne politique consiste aujourd’hui à affirmer qu’il faudra tirer les conséquences de cette crise et repenser une stratégie globale, notamment en termes de relocalisation de certaines productions. Qu’en pensez-vous ?

Mon opinion sur la question est connue, la Corse et sa petite économie sont des écosystèmes fragiles et nous devons gagner en robustesse. Aujourd’hui, la crise est sanitaire, demain, elle pourra être sociale ou environnementale.

Nous devons, pour solidifier nos bases, travailler à diversifier les secteurs d’activité et les sources d’échange, mais aussi à imaginer des mécanismes nouveaux de solidarité et de sauvegarde économique basés sur des interventions publiques plus rapides et plus puissantes. Cette crise, lorsqu’elle sera passée, devra être mise à profit pour débriefer tout ce qui a marché, mais surtout tout ce qui a manqué, et j’ai déjà quelques idées pour un nouveau modèle car, que chacun en soit convaincu, nous devons apprendre de cette crise. Il y aura une remise en cause générale et inévitable, un avant et un après, et l’après sera nécessairement très différent de ce que nous avons connu.

En janvier, lorsque les premiers cas en Chine ont été révélés, imaginiez-vous que le Covid-19 allait être la prochaine étincelle de la crise économique mondiale ?

Sincèrement, non. Je ne vais pas vous raconter d’histoire, comme beaucoup, je ne l’ai pas vue venir, en tout cas, pas avec cette intensité. C’est d’ailleurs aussi un élément d’interrogation sérieux, car il y a eu dysfonctionnement dans les outils de veille et d’alerte. À l’évidence, nous avons besoin d’un outil d’analyse et de prospective qui doit permettre à la Corse de mieux comprendre ce qui se passe dans le monde, et surtout, ce qui peut s’y préparer et peut nous impacter.

Propos recueillis par Julie Quilici-Orlandi