[CORSE-MATIN] A Bastia, les socioprofessionnels interpellent la classe politique

[CORSE-MATIN] A Bastia, les socioprofessionnels interpellent la classe politique

Au moment où le plan de sauvegarde de l’économie insulaire est débattu à l’Assemblée de Corse, le collectif d’organismes professionnels et consulaires, à l’origine du rassemblement, a rappelé le caractère exceptionnel de la situation et exhorté les élus à faire taire leurs divisions.

Le collectif de socioprofessionnels à l’origine de la manifestation avait voulu une mise en scène édifiante. De ce point de vue au moins, le rassemblement organisé hier après-midi à Bastia aura répondu à leurs attentes. Il est quinze heures, place Saint-Nicolas. Quelque trois cents personnes, vêtues de noir pour la plupart, sont réunies devant le kiosque à musique.

Au son de la Marche funèbre de Chopin, deux cercueils portés par des croque-morts de circonstance se fraient soudain un passage au milieu de l’assistance. Suivis d’un petit cortège porteur de banderoles où l’on peut lire « Restaurateurs en deuil », ils finissent bientôt sur deux catafalques posés là, au pied du monument. Un enterrement de première classe.

Frédéric Ruiz, le président de la section « Restaurants » de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, prend la parole. Dans la situation sanitaire actuelle, cette mise en scène de la mort pourrait choquer. Alors, avant de demander une minute de silence à la mémoire des victimes du Covid, le restaurateur précise : « Il ne s’agit pas d’une provocation mais d’une image symbolique. Nous sommes là pour dire que nous refusons de porter le deuil de ces entreprises que nous avons bâties jour après jour, sacrifice après sacrifice. »

« Il faut un vote à l’unanimité »

Un à un, les représentants des organismes socioprofessionnels regroupés au sein du collectif, prennent la parole. Pierre Orsini, au nom de la chambre régionale de commerce, rappelle d’emblée l’objet de la mobilisation : le plan « Salvezza », un plan de sauvegarde de l’économie insulaire, examiné au même moment par l’assemblée de Corse afin d’être soumis ensuite à une éventuelle approbation du gouvernement. « Ce plan, nous l’avons travaillé depuis le début de la crise, explique-t-il. C’est un plan complet, solide et fidèle à nos revendications. Pour la première fois, un début de réponse adapté aux problématiques locales se dessine. » Puis l’élu consulaire s’adresse aux élus. « Nous demandons que le vote en faveur de ce plan soit un vote clair et massif un vote à l’unanimité. »

Cette exhortation à l’unanimité, adressée aux politiques, n’a rien d’anodin. Elle intervient alors qu’une partie de l’opposition territoriale a fait connaître ses réticences vis-à-vis du plan et que l’Assemblée a dû en reporter le vote à ce matin. A entendre tous les intervenants la reprendre, l’un après l’autre, on finit par comprendre qu’elle est la raison d’être de la manifestation.

Appel à la désobéissance

Jean André Miniconi, le président régional de la Confédération des PME (CPME), s’insurge dans un premier temps contre le sort fait aux petits entrepreneurs. « Si nous sommes là tous ensemble, c’est parce qu’on a porté atteinte à une liberté fondamentale : la liberté de travailler, explique-t-il. Pensez-vous que l’on puisse travailler et vivre sur cette terre en restant fermé pendant 4 mois sur une année ?» Mais très vite, lui aussi, revient au plan Salvezza et au vote prévu à l’Assemblée de Corse. « Ce plan n’est peut-être pas parfait mais il prend en compte les spécificités de la Corse auxquelles les mesures nationales répondent insuffisamment, poursuit-il. Aux élus je dis, amendez le rapport s’il le faut, mais on ne peut pas se permettre de monter à Paris sans une unanimité » Le discours est clair mais, dans une partie de l’assistance, on s’attendait peut-être à autre chose.

Lorsque Louise Nicolaï, la présidente de l’Union des entreprises de proximité (U2P-Corse), lance : « Aujourd’hui, on n’obéit plus au gouvernement : les bars, les restaurants toutes les entreprises doivent rouvrir d’elles-mêmes », les applaudissements sont soudain plus nourris. Une clameur commence timidement à s’élever dans l’assistance. Un instant, on croit même assister au point de départ d’un mouvement de désobéissance collective. Mais les choses, étrangement, en restent là, et la représentante de l’U2P y va elle aussi de son exhortation (ou davantage) aux élus. « Le vote doit être un vote à l’unanimité, lâche-t-elle à son tour. S’il ne l’est pas, nous serons encore plus nombreux la prochaine fois. Aujourd’hui, ce n’est qu’un début. »

Thierry Doll, le porte-parole des gérants de salles de sport – dont la réouverture n’interviendra pas avant janvier – est l’un des derniers à prendre la parole. Avec lui, la thématique des funérailles revient soudain au premier plan. « Six mois de fermeture, quelle profession peut s’en remettre ? demande-t-il. En Corse, dans les prochaines semaines, entre 20 et 25 % des entreprises de notre secteur vont fermer. Ça veut dire 50 à 60 salles de sport qui vont fermer avec les conséquences que l’on sait pour les salariés. »

Presque au même moment, une petite pluie se met à tomber sur la place. L’assistance se disperse en silence. Comme à la fin d’un enterrement.

PIERRE NEGREL