[CORSE-MATIN] “Un mur de dettes de plus d’un milliard”

[CORSE-MATIN] “Un mur de dettes de plus d’un milliard”

Face à une situation économique très dégradée par la Covid, le président de la Chambre de commerce de Corse, Jean Dominici, multiplie les actions de soutien. Mais, selon lui, sans le soutien financier de l’État dans le cadre du plan Salvezza, la survie de l’économie corse est menacée.

– Après ce deuxième confinement, dans quel état sont les commerces et les entreprises en Corse ?

Il faut être clair, la Corse est la région de métropole la plus impactée par la crise économique liée au Covid et elle restera probablement celle qui aura le plus d’effets négatifs à surmonter dans les années à venir. Malgré les efforts de diversification engagés ces dernières années, le tourisme demeure le principal levier de la dynamique économique régionale. La consommation touristique porte les revenus financiers des autres filières économiques, aussi la réussite de la « saison » conditionne la croissance économique de l’île tout entière. Or, cette année, les 30 % du PIB habituellement tirés du tourisme n’ont pas été constitués ; nous estimons que, dans le meilleur des cas, seuls 50 à 60 % d’une saison normale ont pu être préservés. À cela, il faut rajouter les mesures de fermeture administrative de novembre et le nouveau confinement, qui sont venus une nouvelle fois impacter nos commerces de proximité, déjà fortement fragilisés.

– Les aides promises seront-elles suffisantes pour sauver les entreprises en difficulté ? Combien d’entreprises vont déposer le bilan selon vous dans les prochains mois ?

Nous militons depuis le début de cette crise pour la mise en oeuvre de mesures spécifiques et renforcées car, justement, nous sommes convaincus que les dispositifs nationaux actuels ne suffiront pas. L’ampleur du choc sur l’économie corse a pu être partiellement amortie, grâce à un effort national sans précédent, nos entreprises ont en effet pu bénéficier, entre autres mesures, des effets salvateurs sur l’emploi de l’activité partielle, du maintien de leur trésorerie grâce aux prêts garantis par l’État et des reports de leurs charges. Elles ont cependant accumulé un mur de dettes dépassant le milliard d’euros essentiellement constitué de PGE et des reports de charges. Ce « mur » de dettes doit absolument faire l’objet d’un traitement particulier, nous devons trouver les voies et les moyens pour adapter toutes ces mesures aux spécificités de l’économie corse, car dans le cas contraire, elles n’auront servi qu’à retarder l’échéance et seront englouties avec les cessations de paiements et faillites en série que l’hiver et le printemps nous réservent

– Depuis le début de la crise, combien de commerces avez-vous soutenus ?

Les services économiques de la CCI de Corse sont entièrement mobilisés, nos équipes sont présentes au siège de l’institution et sur nos antennes, à Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio, Corte, L’Île-Rousse et Ghisonaccia. Leur mission première consiste à renseigner et accompagner nos chefs d’entreprise et nos commerçants, afin qu’ils puissent accéder à l’ensemble des mesures existantes. Le nombre de sollicitations, d’appels et de mails reçus depuis le début de la crise se compte à plus de cinq mille contacts.

– Plans de reconnexion des lignes aériennes et maritimes, rapport EY, Compru qui, Prêt Sustegnu, la CCI a multiplié les opérations, mais ne fragilisez-vous pas davantage la Chambre en multipliant les opérations de relance et de soutien avec des réserves financières qui sont loin d’être florissantes ?

Il s’agit de la sauvegarde de notre économie face à une crise d’une ampleur et d’une gravité sans précédent dans l’histoire contemporaine. Nous avons déployé une série de dispositifs locaux en propre ou avec le soutien de la Collectivité de Corse et nous envisageons de poursuivre ses efforts. D’ailleurs, pour booster la réouverture des commerces pour les fêtes, l’opération Compru qui sera renouvelée toujours avec le soutien de l’Adec, à compter du 10 décembre, 150 000 € de bons d’achat seront à gagner et à valoir dans tous les commerces participants de Corse. À vrai dire, la situation propre de la CCI compte peu et passe après celle de nos ressortissants qui souffrent face à cette crise sans précédent.

– Les cafés et les restaurants sont aujourd’hui encore fermés et ce au moins jusqu’au 20 janvier. Avez-vous prévu des aides supplémentaires pour ces derniers commerces encore impactés par la crise ?

Nous trouvons injuste la décision de garder fermés les bars, restaurants et salles de sport qui étaient prêts, eux aussi, à travailler avec des protocoles sanitaires efficaces et renforcés comme ils l’ont démontré depuis le début de la crise. Nous continuons à demander au gouvernement de réviser sa position sur ces dernières restrictions le plus vite possible… et si la tendance à l’amélioration sanitaire se confirme, sans attendre le 20 janvier 2021. Nous prévoyons de déployer en complément des aides déjà existantes, une nouvelle mesure incitative visant à accompagner et booster la réouverture des bars et restaurants, le dispositif est en cours de finalisation, il sera présenté début janvier.

– Avant l’été, vous aviez écrit à Bruno Le Maire pour lui présenter un plan de relance pour la Corse.  Sa non-réponse vous a-t-elle surpris ?

Les membres du collectif des chambres consulaires et des acteurs du monde économique insulaire avaient effectivement sollicité un rendez-vous avec le ministre de l’Économie, afin de travailler en étroite concertation à la rédaction d’un plan d’urgence adapté aux spécificités de notre territoire. Le rebond épidémique aura eu raison de l’agenda du ministre et la réunion attendue n’a pu avoir lieu. Mais le lien n’est pas rompu, les discussions et négociations au plan national doivent et vont reprendre. D’autant plus que le plan de relance « Salvezza » a été voté à l’unanimité par l’Assemblée de Corse le 27 novembre dernier.

“Une grande capacité à fédérer”

– Vous avez contribué à l’élaboration du plan Salvezza. Le document présenté au vote de l’Assemblée de Corse vous a-t-il pleinement satisfait ?

Le plan Salvezza adopté à l’unanimité par l’Assemblée de Corse est parfaitement fidèle aux contributions des acteurs du monde économique insulaire. Le plan est complet, solide, il constitue pour le volet de l’urgence et de la sauvegarde une bonne base aux étapes à venir et légitime le travail remarquable accompli en amont par les acteurs de chaque filière de l’île, plusieurs fois réunis pour proposer des solutions pragmatiques aux maux dont ils souffrent.

– Satisfaction aussi du président de la CCI régionale de la mobilisation de tous les socioprofessionnels pour la rédaction de ce plan ?

Comment ne pas être satisfait ? Nous avons démontré une très grande capacité à nous fédérer, à œuvrer et à travailler ensemble, une très forte cohésion dans les échanges et les discussions de production, de co-construction du volet Salvezza, et cette force du monde économique rassemblé est et restera notre atout principal dans les mois et les années à venir.

– Le débat politique autour de Salvezza e rilanciu vous a-t-il surpris ?

Seul le résultat compte, les échanges et les débats ne sont que le reflet de l’expression démocratique. Je retiendrai que le sens des responsabilités a amené les conseillers territoriaux à faire taire leurs divergences pour voter à l’unanimité ce plan de plus de 400 millions auquel les socioprofessionnels avaient apporté un précieux concours. Reste maintenant à convaincre l’État d’y adhérer.

– Pensez-vous que l’État versera les 300 millions d’euros attendus dans le cadre de ce plan ?

Obtenir l’unanimité au sein même de la représentation de la démocratie corse était essentiel à bien des titres et donne beaucoup plus de force aux attentes de la Corse face à un État qui n’a peut-être pas encore pris conscience que la Corse était la région la plus impactée de toutes et qu’elle devait donc faire l’objet d’un traitement adapté. Les négociations avec l’État doivent aboutir, il en va de la survie de notre économie.

Y.M