[CORSE-MATIN] Economie à l’arrêt, saison à sauver, préfet à la manoeuvre

[CORSE-MATIN] Economie à l’arrêt, saison à sauver, préfet à la manoeuvre

Face à Pascal Lelarge, les socioprofessionnels regroupés au sein du collectif créé sous l’égide de la CCI de Corse ont dit leurs craintes mais aussi leur volonté d’aller de l’avant. Ils visent une fenêtre de tir vitale, l’ébauche d’une sortie de crise au printemps, coûte que coûte.

Du nord au sud de l’île, en présentiel et en visioconférence, on a parlé économie et sanitaire, hier, dans le cadre d’une « consultation », c’est ainsi que l’échange avait été nommé sur le papier.

Autour de la table, les socio-professionnels regroupés dans le collectif qui travaille sous l’égide de la CCI régionale. Face à eux le préfet Lelarge, ainsi que François Ravier, pour la Haute-Corse, et les services de l’État dans leur diversité.

Une première, que cette rencontre entre les uns et les autres. Elle intervient, il faut le rappeler, sauf à gommer un pan important du décor, à la suite de la concertation entre les acteurs économiques et la Collectivité de Corse pour bâtir, ensemble, le volet consacré à des mesures d’urgence d’un plan économique qui comporte également une partie dédiée aux dispositifs de relance. À la suite, en outre, de la réponse adressée par Emmanuel Macron à Gilles Simeoni. À la suite, enfin, de ce dernier paragraphe dudit courrier qui donne clairement « mandat » au représentant de l’État pour prendre la main.

C’est précisément ce qu’a fait le préfet, au long cours de plus de deux heures d’une discussion se voulant, dixit, ouverte et à l’écoute des divers interlocuteurs. L’idée, tenter de donner de la visibilité aux acteurs économiques dans un contexte où les ondes sont, depuis plus de dix mois, brouillées par l’évolution de la pandémie. En commençant par sauver la saison 2021.

Car sinon, préviennent nombre de professionnels, c’est un cataclysme économique qui déferlera à court terme sur l’île. En amont de la rencontre, quelques heures auparavant, Bernard Giudicelli, le président de l’Umih Corsica ne faisait pas secret de ses attentes. « L’objet de la réunion, c’est bien de recentrer sur des fondements qui sont justes, validés par tous, et par l’État lui-même, je l’espère, afin de pouvoir repartir sur des mesures adaptées aux dommages que nous avons subis, avec cette spécificité insulaire qui est la nôtre et les aggrave. »

« Dans un mois, ce sera trop tard »

À la sortie, le même interlocuteur, accompagné de Karina Goffi, à la tête de l’Umih 2B et de Louise Nicolaï, la présidente de l’U2P (Union des entreprises de proximité), expliquait que la réunion avait été pragmatique. « Dès lundi, nous mettrons en place des groupes de travail en partenariat avec les services de la préfecture, en fonction des problématiques. L’objectif étant d’essayer, dans un premier temps, de lever les problèmes techniques que nous rencontrons, avant la fin février pour, dès le mois de mars, être en mesure d’avoir une lisibilité que nous n’avons pas aujourd’hui. Le tout, sans oublier d’intégrer les différents scenarii que le sanitaire met en perspective. »

Parmi les sujets techniques, l’un revient dans la bouche des socioprofessionnels, que Karina Goffi, porte-parole pour la CCI régionale, développe : « Nous avons évoqué la question du recrutement des salariés pour préparer notre saison et nous organiser, ce recrutement demeurant primordial. Nous avons aussi exprimé des demandes particulières, notamment que les hôtels ayant des restaurants puissent servir les clients. Autre élément essentiel, le transport aérien. Nous devons commencer à travailler dès à présent dans un mois ce sera trop tard. »

Car même s’ils sont plongés dans un sine die sans fin, pour l’heure en tout cas, les socioprofessionnels sont bien obligés, appuie Louise Nicolaï « d’ouvrir des perspectives au niveau régional. Coûte que coûte, nous sommes dans l’espérance et pourtant nous n’avons parfois qu’un ou deux clients dans la journée avec, paradoxalement une grande amplitude horaire ».

À quel moment un horizon se dégagera-t-il pour la saison, avec quel calendrier de réouverture, selon quelles consignes ? C’est vers cette ligne de crête que chacun tend. Sans pour autant se cacher « qu’à partir de début mars, il va falloir dire aux groupes du mois d’avril que l’on ne pourra pas les recevoir, pose Karina Goffi, comme une évidence qui s’impose déjà. On a compris que la saison ne démarrera pas ni en mars ni en avril, que le spectre d’un troisième confinement s’approche, et il faudra bien l’accepter au regard de la situation. Mais en parallèle, il va falloir prendre des décisions pour nos entreprises. Stratégiques ».

« Dans l’incapacité de rembourser »

Le président du Medef corse, Charles Zuccarelli, veut retenir, quant à lui, que « le dialogue est en place, une méthode de travail a été définie. Le préfet a dit qu’il ne prônait pas de mesures globales mais préférait réfléchir par secteur. Le côté positif c’est qu’il y a un début de discussion. Et c’était le but, instaurer le dialogue avec l’État, dès lors qu’avec la CdC il existe déjà entre nous, pour que, dès lundi, des propositions soient faites afin de commencer à plancher sur les mesures à mettre en place et la façon dont on peut lancer la saison touristique. »

Ressenti identique chez Jean-Charles Martinelli, le président de la chambre régionale des métiers qui explique que « les chambres consulaires ont bon espoir de renouer le dialogue et de travailler ensemble avec les services de l’État, la Collectivité et tous les acteurs concernés. Le principal problème est que personne n’a de visibilité dans le temps, et si les chiffres ne sont pas encore alarmants, ils peuvent vite le devenir s’il n’y a pas de réelle reprise cette année ».

C’est sur les risques, justement, que s’est focalisé Jean-André Miniconi, le président de la CPME Corsica. En corollaire, un propos extrêmement concret. Et des chiffres qui rentrent dans le dur. « J’ai axé mon intervention sur deux points principaux. D’une part, les dettes s’accumulent et augmentent, sachant que nous n’avons toujours pas retrouvé un niveau normal d’activité, au long cours de plusieurs périodes d’un chômage partiel qui continue. Dans le même temps, les échéances de remboursement de prêts arrivent et malgré le report annoncé par le gouvernement les banques nous pressent. Or, nous sommes dans l’incapacité totale de rembourser ces dettes qui, pour le secteur privé, s’élèvent à plus d’un milliard d’euros, soit plus de 10% du PIS. » Deuxième point soulevé, la prochaine saison, là encore. « Le préfet nous a demandé de préparer des hypothèses en vue du redémarrage de la saison. Mais si l’on embauche au 1er avril et que, malheureusement, la saison ne démarre qu’en mai ou juin, quid des CDD embauchés qui ne vont pas travailler pendant trois mois ? Quelles conséquences si I’on embauche du personnel et que l’on est reconfiné ?».

Enfin, sotto voce, cette fois, d’aucuns livrent une part d’amertume.

« Les échanges que nous avons eus et les propositions ne sont pas à la hauteur des dégâts que nous avons encaissés. Le préfet nous a demandé d’exposer nos attentes, nos inquiétudes, certes. Mais la méthode pratico-pratique qu’il déroule ressemble davantage à une assistance au quotidien qu’à une véritable sauvegarde. Il faut aller plus loin. »

Ce sera le plus difficile. Anticiper un avenir qui se dérobe.

ANNE-C. CHABANON

I.-L.PAOLI