[CORSE-MATIN] ETAT- CDC – CHAMBRES CONSULAIRES EN QUÊTE D’UN TERRAIN D’ENTENTE

[CORSE-MATIN] ETAT- CDC – CHAMBRES CONSULAIRES EN QUÊTE D’UN TERRAIN D’ENTENTE

Un échange tripartite s’est tenu hier soir depuis la préfecture d’Ajaccio dans le cadre de discussions visant à évaluer au plus près l’impact engendré par la crise sanitaire sur l’économie insulaire. Surtout, à partager une analyse commune du soutien qui doit être apporté à la Corse.

Deux heures et demie. C’est le temps qui a été consacré à un dialogue ouvert, semble-t-il, autour du préfet Pascal Lelarge et de ses services, afin de mettre sur la table un certain nombre de sujets à la déclinaison essentiellement économique.

Hôtes de l’échange, la Collectivité de Corse et le patron de l’Exécutif, Gilles Simeoni, accompagné de Marie-Antoinette Maupertuis et de Jean-Christophe Angelini. Également, pour la CCI régionale, le président Jean Dominici, et son directeur, Philippe Albertini, représentant le collectif des neuf organisations socioprofessionnelles.

Enfin, pour la chambre de métiers, le président régional, Jean-Charles Martinelli, ainsi que le président départemental François-Marie Ottaviani, à la tête de la structure de Corse-du-Sud.

Globalement, la discussion a été jugée plutôt constructive, en tout cas saluée comme telle par l’ensemble des participants, a glissé Gilles Simeoni à la sortie.

« Nous avions, en amont remis un document sur le diagnostic économique et social (lire ci-dessous). Le préfet a indiqué, pour sa part qu’il n’était pas d’accord sur certains points, trouvant que les difficultés étaient surestimées en ce qui concerne certains indicateurs, mais le débat reste malgré tout, ouvert. Nous avons acté les désaccords qui existent tout en demeurant à la marge. Ceci pour le diagnostic. »

Question d’échelle

Les intervenants ont, ensuite, évoqué assez rapidement le plan France Relance. À cet égard, il a été réaffirmé, notamment par la voix des présidents des chambres consulaires, « que nombre d’éléments contenus dans le plan, soit n’étaient pas destinés aux acteurs économiques et sociaux, soit n’étaient pas destinés à la Corse comme, par exemple, les appels à projets. Il est prévu que nous revenions sur le sujet, veut garder comme cap le président de l’Exécutif, afin d’examiner si nous pouvons majorer les enveloppes, mettre en place une revue de projets dans le but que la Corse puisse bénéficier de plus et de mieux. Tout en réaffirmant, en corollaire, que le dispositif actuel ne peut être à la hauteur des enjeux. »

En ce qui concerne le volet salvezza, celui-ci a été abordé de façon opérationnelle, pragmatique et argumentée dès lors que les interlocuteurs étaient nombreux à porter un discours dense et d’un haut niveau technique.

« Nous avons relevé que depuis le 27 novembre, date à laquelle le plan a été voté – à l’unanimité – à l’Assemblée de Corse, un élément important était intervenu, en l’occurrence, la conférence de presse de Bruno Le Maire, le 14 janvier dernier. Pourquoi y avons-nous fait référence ? Parce que nombre de points constituant l’ossature de salvezza se retrouvent, sur le principe, dans les propos du ministre de l’Économie. »

Dans le sillage de Bruno Le Maire

Autour de la table des discussions, on s’est attardé autour de trois grands secteurs. D’abord, les prêts garantis par l’État (PGE), une interrogation à la clé, comment fait-on pour améliorer ce dispositif PGE et, en particulier, transformer une partie en prêts participatifs ou différés de remboursement, avec en ligne de mire le spectre du mur de dettes.

« Puis, nous avons rappelé que la problématique des charges et de l’effacement de ces dernières figurait, aussi, dans le discours de Bruno Le Maire, celui-ci ayant souligné qu’une telle démarche était envisageable à certaines conditions. Nous en avons profité pour argumenter à la lumière des spécificités du tissu économique de la Corse et à l’aune de nos propositions »

Enfin, on a parlé fiscalité et zone de développement prioritaire, hier soir. « Nous avons insisté sur le fait que beaucoup des mesures fiscales, y compris pour les productions, ne profitaient pas à la Corse et qu’il y avait, dès lors, la place pour réfléchir à une fiscalité prenant en compte les contraintes propres, d’ores et déjà actées via le statut d’île-montagne, entre autres. »

En termes de calendrier, les participants se sont donné quinze jours de travail continu et intense. Au bout du compte, il s’agira pour le préfet de dire ce qu’il accepte, ce qu’il pense possible de reprendre pour le transmettre au gouvernement, « d’autant qu’il y a des mesures pour lesquelles il n’a pas mandat, sachant, en outre, que nous n’avons pas nous-mêmes la main. »

Quoi qu’il en soit, résume le président Simeoni, « dès lors que l’on nous a fait savoir que le préfet était l’interlocuteur ad hoc, nous discutons avec lui, nous présentons notre argumentaire afin de justifier les raisons pour lesquelles nos propositions sont économiquement fondées et dans quinze jours, nous tirerons un bilan. »

Choc économique, un diagnostic territorial établi

La Collectivité de Corse et la CCI régionale ont dressé un état des lieux de la situation de l’île après presque une année de difficultés liées à la crise sanitaire et à l’issue d’un cycle de travail de plusieurs mois, initié dès le printemps 2020, auquel nombre d’organisations professionnelles ont participé.

Ce diagnostic territorial, « attesté par la plupart des services de l’État », est-il expliqué, se présente sous la forme d’une note que nous avons pu consulter, dont la rédaction a été partagée entre les principaux acteurs institutionnels territoriaux du développement économique. Le tout, dans la droite ligne de l’adoption du plan « salvezza è rilanciu » à l’Assemblée de Corse.

L’idée est clairement énoncée et consiste à démontrer que « les structures économiques spécifiques de l’île l’exposent plus que partout ailleurs, à ce qui pourrait déboucher sur une grave phase de récession économique, c’est le cas en particulier du caractère présentiel de l’activité en lien avec la prédominance du secteur touristique. Cette situation demande, en conséquence, l’instauration d’un régime de mesures véritablement dérogatoire au droit commun des régions métropolitaines. »

L’analyse de la crise et de ses implications immédiates en termes d’activité des entreprises, d’emploi, de précarité, permet d’opérer un large tour d’horizon. Morceaux choisis.

« Mouvements d’accordéon »

Le document met ainsi, et sans surprise, en exergue la fragilité du modèle économique de la Corse face à la pandémie. Avec une position conjoncturelle très fortement et profondément atteinte sur l’année 2020. « Les interdictions d’ouverture, les restrictions commerciales et les changements de comportements provoqués par la crise sanitaire ont fortement impacté l’ensemble de l’économie tout au long de l’année, avec de violents mouvements d’accordéon dans l’activité commerciale. Après une courte amélioration sur la très haute saison, la persistance de la crise sanitaire à l’hiver 2020-2021 continue d’exercer une forte pression sur le tissu productif insulaire. »

En corollaire, une activité plus fortement impactée en Corse que dans les territoires continentaux et des dégâts plus importants qu’à l’échelle nationale. À telle enseigne que ces derniers « conduisent à estimer la perte de PIB en Corse à 16,8 % sur l’année 2020. Au niveau national, le recul du PIB en volume se situe plutôt autour de 8 %. La reprise s’annonce aussi plus modeste dans l’île, avec des incertitudes majeures sur la possibilité de rattraper dès avril prochain les pertes accumulées sur la saison touristique 2020. »

Ces pertes d’activité se sont, en outre, transmises à l’emploi et aux indicateurs sociaux. Pour preuve, « le nombre d’allocataires du RSA en Corse progresse de 910 personnes en un an en octobre 2020, à 7 710 allocataires (Corse : + 14,5 %/an en novembre 2020 ; moyenne nationale : + 8,3 %/an). Enfin, en octobre 2020, le nombre d’allocataires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) en Corse progresse de 80 personnes sur un an, à 1 260 allocataires (Corse : + 6,8 %/an ; moyenne nationale : + 6,1 %/an) ».

« Interprétation paradoxale »

Le soutien de l’État reflète l’ampleur de l’onde de choc. Si les mesures de soutien ont effectivement atteint des montants importants, il s’agit « pour l’essentiel de soutien via la dette sous forme fiscale, sociale et bancaire. Notamment les PGE (prêts garantis par l’État) représentent 970 M€ au 1er janvier 2021, soit les deux tiers du soutien de l’État. Ces éléments ont permis de limiter les défaillances d’entreprises, à l’instar de la situation sur le continent. » En contrepartie, « ceci induit le plus souvent une interprétation paradoxale voire erronée parfois des statistiques des tribunaux de commerce qui illustre une diminution des faillites et cessations d’activités. »

Quant à la dette globale ainsi accumulée, elle s’élève à près de 1,3 milliard d’euros sur le 1,8 milliard d’euros de soutien de l’État (à fin 2020).

« Un niveau difficilement supportable pour les entreprises. Les pertes plus importantes de 2020 et la conjoncture toujours plus dégradée ne permettent pas d’envisager de continuer sur cette tendance, au risque d’ajouter une crise de surendettement aux conséquences économiques de la crise sanitaire ».

Le document insiste, donc, sur la nécessité de sortir des « dispositifs d’urgence. » Mais il faudra en anticiper les conséquences dès lors que cette évolution va nécessairement « engendrer une pression sur les trésoreries des TPE, pression d’autant plus forte si la reprise de l’activité se fait modérément tandis que les soutiens sont coupés trop brutalement. »

D’où la nécessité d’une sortie de l’activité partielle de manière ordonnée, d’une part, « pour éviter de ponctionner trop rapidement les liquidités disponibles à travers la masse salariale, ce qui risque de conduire à des licenciements. D’autre part, le paiement des arriérés de cotisations sociales et d’impôts ne doit pas intervenir au mauvais moment du cycle de trésorerie, surtout pour les activités saisonnières, plaçant les entreprises en défaut de façon mécanique. »

ANNE-C. CHABANON