[La Lettre] “Renouer rapidement un dialogue constructif avec les partenaires de la relance”
Un oeil sur le rétroviseur de la crise, l’autre résolument tourné vers l’avenir. Le regard de Jean Dominici sur la situation économique est lucide, pragmatique et confiant.
- Avec le recul, quelles sont les principales initiatives de la CCI de Corse qui auront permis une majorité de ressortissants de traverser la crise sanitaire en évitant le pire ?
Face à la gravité de la situation, la CCI a mobilisé immédiatement l’ensemble de ses ressources budgétaires, techniques et humaines pour déclencher une série ininterrompue d’initiatives de tous ordres. Dès le début du premier confinement, des cellules spécifiques, six en tout, ont été activées sur l’ensemble du territoire afin d’identifier et assister les ressortissants en difficulté, favoriser le déploiement des mesures d’aides et de soutien tant nationales (PGE, activité partielle, fonds de solidarité…) que locales. Au total, la prise en charge s’ évalue à plus de 1 200 ressortissants accompagnés. La toute première mesure d’aide locale a consisté à proposer, en partenariat avec la CdC, un Prêt de trésorerie taux zéro baptisé “Sustegnu” . Il a, par la suite, été rattrapé et dépassé par le PGE bien plus efficace, justement du fait de la garantie de l’Etat. Il a néanmoins bénéficié à 441 entreprises pour 32,8 M€. Aussi, il a été décidé, toujours en lien avec la CdC, de faire évoluer ” Sustegnu” afin de garder le principe du taux zéro, mais cette fois-ci à compter du 1er janvier 2021. Il s’agit de bonifier pour les secteurs les plus exposés les Prêts Garantis par l’Etat non remboursés la première échéance. Cette mesure, en vigueur jusqu’à fin 2022, a déjà permis de prendre en charge 182 dossiers pour 12 M€. Nos équipes sont au travail tant pour assurer le déploiement des mesures en cours, que pour en paramétrer de nouvelles dès les semaines qui viennent et je profite de votre première question pour les féliciter et les remercier.
- Le commerce de proximité, très malmené, a pu être aidé à la mesure de ce que pour souhaitiez ?
Je le crois, grâce à de remarquables initiatives comme la vaste campagne de communication régionale, baptisée « Compru Qui », dotée de 365 000 € de bons d’achat pour dynamiser la saison estivale 2020 puis la période des fêtes de fin d’année. Renouvelée en 2021, elle débutera à la mi-octobre pour se terminer le jour de noël. là encore, plusieurs milliers de bons d’achat seront à valoir chez nos commerçants de proximité.
- Vous avez ressenti une vraie mobilisation autour de vous ?
la mobilisation a été totale. les différentes organisations professionnelles de Corse se sont réunies, concertées et organisées dès le début de la crise et tout au long des mois qui ont suivi, chacune conservant sa personnalité et son positionnement, mais toutes ont été fortement solidaires et ont pleinement coopéré pour chaque dossier, chaque proposition et chacune des nombreuses réunions organisées au cours des seize derniers mois. la CCI de Corse a été chargée de co-animer, en lien étroit avec l’UMIH, l’activité du Collectif et notamment la réunion générale du 27 octobre 2020 à l’IMF avec l’Exécutif de Corse, préfiguration de l’émergence du Plan Salvezza è Rilanciu.
- Vous avez aussi privilégié la reconnexion de la Corse avec l’extérieur…
Compte tenu de l’exceptionnelle exposition de l’économie corse au tourisme – de l’ordre de 30 % contre 7 % au plan national – il a été très vite décidé de s’engager puissamment au soutien des opérateurs de transport pour optimiser les connexions ou reconnexions maritimes et aériennes dès 2020 puis de prolonger ces efforts sur 2021. nous avons mobilisé 8 M€ pour aider les compagnies à programmer la destination Corse de manière dynamique. En contrepartie, elles se sont engagées à développer leurs programmes sur une durée minimale de trois ans. Pour l’instant, les meilleurs résultats sont observés sur le segment du transport aérien national avec près de 3 millions de sièges hors service public. l’objectif sera dorénavant de travailler prioritairement à l’allongement voire à l’annualisation des lignes que nous soutenons. Parallèlement, nous avons déployé un dispositif inédit de contrôle thermique aux arrivées sur les 6 ports et 4 aéroports de Corse afin de sécuriser tant les voyageurs que les résidents. Il a permis à l’activité touristique de fonctionner pour les deux mois et demi de la saison 2020.
- L’impact de la crise ne remet pas en question l’étude que vous avez diligentée auprès de EY ?
Elle renforce au contraire la pertinence de la contribution de ce cabinet de niveau international à l’élaboration du plan de redémarrage économique corse réalisée dès mai 2020 avec près de 1 800 remontées de terrain, entreprises et partenaires. Cette étude a permis dès juillet 2020 d’objectiver les impacts économiques de la crise et souligner que la Corse a été la région métropolitaine la plus exposée ainsi que de proposer 70 mesures spécifiques en faveur de la sauvegarde et de la relance. Elle a été le fil rouge des discussions avec les pouvoirs publics tout au long des mois qui ont suivi.
- Le partenariat avec la Collectivité de Corse a-t-il vraiment porté ses fruits compte-tenu des difficultés relationnelles avec l’État ?
Assurément, les choses auraient été mieux gérées avec une relation plus apaisée. Pour sa part, la CCI a œuvré en faveur du dialogue et pris des initiatives, pour certaines publiques, appelant à la responsabilité, à la concertation et au travail en commun des acteurs institutionnels, des représentants de l’état et de la CdC, en insistant sur la nécessité d’une coopération totale qu’une crise de cette gravité exige. Ceci dit, la CCI n’a pas à délivrer de bons ou mauvais points aux uns et aux autres, elle est là pour que les « passages à l’acte » d’où qu’ils viennent et a fortiori lorsqu’ils sont coordonnés, soient les plus nombreux et les plus efficaces possibles en faveur des ressortissants, des territoires et de l’économie en général.
- C’est un vœu pieu ou vous y croyez ?
Ce dont je suis convaincu, c’est qu’avec la mandature qui vient de démarrer au Conseil Exécutif de Corse, l’objectif partagé est de dépasser les difficultés relationnelles du passé récent, bien futiles au regard des enjeux du redémarrage.
- Vous avez salué les mesures gouvernementales mais regretté que le Plan de relance national soit mal adapté aux réalités économiques de l’île. Peut-on encore y remédier ?
oui, cela semble de plus en plus indispensable car la relance économique va attiser les compétitions entre territoires, et la Corse n’est pas la mieux placée pour y prendre la place qu’elle mérite. Je vous rappelle qu’au-delà d’avoir été la région la plus impactée, deux fois plus que la moyenne des régions, nous sommes dorénavant face à un « mur de dettes » de plus d’1,2 Mds € et que la principale mesure fiscale de France Relance « les 20 Mds d’allègement d’impôts de production » sera inopérante chez nous. Il est donc urgent de renouer rapidement un dialogue constructif entre les partenaires de la relance, de finaliser le volet rilanciu et de mettre en place les moyens permettant aux acteurs du territoire d’accéder aux multiples appels à projets en attendant de pouvoir les adapter. Je ne cesse de rappeler la nécessité cruciale de disposer de crédits spécifiques afin de constituer et déployer des équipes spécialisées en ingénierie de projets (sourcing, montage, rédaction…) et de les mettre à disposition des chefs d’entreprises corses.
- Le Premier ministre et le ministre de l’Économie avaient annoncé leur venue avant de renoncer. Les liens peuvent-ils être renoués dès la rentrée ?
les visites ministérielles et les échanges avec le gouvernement sont toujours de bonnes occasions de faire progresser le dialogue et les dossiers. le Président de la république fait actuellement un tour de France et l’étape Corse doit être préparée avec soin. de même que la prise de contact entre les représentants de la nouvelle mandature de la CdC fraichement relégitimée et ceux du gouvernement doit être l’occasion de tracer un cadre d’échanges sérieux et productifs.
- D’ici là, avez-vous le sentiment que la saison esti- vale sera satisfaisante pour l’économie touristique ?
Elle le sera à partir du moment où nous parviendrons enfin à dépasser les bornes estivales pour des séquences plus longues voire annuelles dans certains territoires comme nous en avons l’objectif à moyen terme. Cependant, pour une saison de sortie de crise, nous sommes très satisfaits d’observer les effets positifs de nos mesures incitatives et la dynamique très forte de programmation de la destination Corse par les compagnies maritimes et aériennes. Avec 141 lignes et 16 compagnies partenaires, l’aérien est en tête des réussites malgré les difficultés sanitaires persistantes pour renouer pleinement avec les marchés internationaux. Nos équipes ont travaillé d’arrachepied pour que la Corse reste bien placée dans les destinations de reprise, ça n’était pas gagné. Un socle est constitué et les efforts seront poursuivis pour préparer l’année 2022 et les suivantes.
- Vous militez pour l’instauration d’un nouveau modèle économique pour la Corse. Comment allez-vous vous y prendre pour négocier ce virage ?
Les économies rivales qui coexistent dans le monde sont entrées depuis une vingtaine d’années dans une séquence, plutôt une succession, de mutations technologiques, logistiques, sociétales, aussi rapides que puissantes. L’épidémie est venue confirmer ce que nous savions déjà : le tissu insulaire fortement dépendant du tourisme saisonnier, des transports et des échanges, présente de ce fait de nombreuses expositions aux risques et aléas aggravés tant par cette accélération générale que par la récurrence et/ou la brutalité des crises qu’elle engendre ou peut engendrer. Cependant, lorsque nous avons interrogé les chefs d’entreprise au cœur de la crise, ils ont clairement indiqué être favorables à un changement structurel, à une réforme profonde, afin de participer à une nouvelle économie plus résiliente, plus diversifiée, plus numérique et évidemment plus décarbonée. Cette conversion ne sera possible qu’à la condition essentielle de conjuguer les efforts de tous les pouvoirs publics dans le soutien aux différents moteurs du changement : diversification et soutien aux filières innovantes, formation, ouverture des marchés extérieurs, financement adapté de la recherche appliquée, mutations technologiques, allongement des saisons…
- Quand la CCI de Corse deviendra-t-elle un orga- nisme à part entière de la Collectivité territoriale ?
Une réforme spécifique des réseaux consulaires propre à la Corse et en particulier du réseau des CCI apparait aussi urgente que nécessaire et la crise est venue accentuer cette évidence. la coordination et la performance des pouvoirs publics doit ainsi être renforcée, simplifiée et fortement améliorée. La CCI n’échappe pas à cette exigence. Le leadership confié à la Collectivité de Corse par les différentes lois de décentralisation et en 2015 par la loi NOTRe dans les domaines de l’économie, de la formation et des transports font apparaître tous les inconvénients à maintenir notre institution sous la tutelle de l’état. L’article 46 de la loi PACTE prévoit une étude destinée à déterminer les voies et moyens d’un rapprochement des réseaux consulaires vers la CdC. Cette étude est terminée et c’est avec beaucoup d’impatience mais aussi de confiance que nous attendons les phases de décision et de mise en œuvre. le président simeoni, que je félicite au passage, n’a pas manqué de souligner dans son discours de prise de fonction l’importance qu’il accorderait à ce dossier et à son traitement positif et rapide. Je m’en réjouis.
- La présente LETTRE réserve une large place au centre de formation consulaire. Quel message avez-vous envie de passer auprès des jeunes dans un contexte aussi éprouvant et incertain pour eux ?
les jeunes Corses plus que les autres, plus que leurs homologues continentaux, en raison de l’insularité, de l’étroitesse et de la fragilité de notre tissu économique, ont besoin de l’appui de politiques publiques crédibles, solides et pragmatiques. l’orientation, la formation, l’emploi, la création ou la reprise d’activités, autant d’enjeux connus pour lesquels des progrès restent à accomplir. Cependant, les opportunités vont de pair avec les fragilités et nous savons qu’en sortie de crise, elles sont toujours plus nombreuses. Il nous appartient, avec les services de l’état et de la CdC, avec les partenaires du développement, de définir filière par filière, les moyens et outils nouveaux à déployer pour que nos jeunes puissent tirer profit de ces opportunités. Pour peu que nous soyons nous- mêmes à la hauteur, je suis certain que les jeunes corses seront au rendez-vous, nombreux, motivés et talentueux, face aux défis du monde d’après la crise.
- Serez-vous candidat à votre propre succession à la présidence de la CCI de Corse ?
oui naturellement, nous avons des dossiers très importants qui ont été engagés depuis 2019 et qu’il convient de finaliser, comme la réforme spécifique des CCI en Corse, le plateau régional de formation ou les nouveaux modes de gestion des systèmes portuaires et aéroportuaires. Mais nous avons également tout le volet de soutien et de transformation de l’économie insulaire post-crise CovId à cadrer rapidement avec la CdC et l’état, pour un modèle numérique, décarboné, plus diversifié, plus robuste et plus résilient. Tous ces dossiers me conduiront donc, non seulement à conduire une équipe au prochain renouvellement, mais à y conjuguer tant les solidités et l’expérience des cadres sortants que l’apport des générations émergentes avec la fraicheur et le dynamisme dont notre institution aura grandement besoin dans les années à venir.
ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°12 (JUILLET-AOÛT 2021) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE