[La Lettre] Rapprochement entre la CCI et la Collectivité de Corse

[La Lettre] Rapprochement entre la CCI et la Collectivité de Corse

Vers la création d’un établissement public nouveau

C’est, en tout état de cause, ce que préconise le cabinet d’expertise eY mandaté dans le cadre de la loi pacte pour étudier la faisabilité d’un changement de tutelle pour les chambres consulaires de Corse. Une évolution statutaire souhaitée par le président du Conseil exécutif.

Il faut remonter cinq bonnes années en arrière. Lors de la phase préparatoire à l’avènement d’une collectivité unique en Corse, les chambres consulaires de Corse avaient émis le souhait de bénéficier du souffle régénérant d’une ère administrative plus simple et plus efficace du paysage administratif territorial.

En 2018, l’idée germait d’un rattachement à la nouvelle Collectivité de Corse car la connexion avait un double effet bénéfique : il permettrait à la CCI de Corse, d’une part, de mettre son savoir-faire, sa vitalité et son professionnalisme au coeur des compétences de l’institution élue tout en conservant l’identité consulaire qui a toujours été la sienne et, d’autre part, de s’affranchir de la mauvaise spirale du réseau consulaire national qui, chaque année un peu plus, laisse des plumes en termes de ressources en raison des ponctions gouvernementales successives. Les deux parties prenantes principales, en l’occurrence Bercy et la Collectivité de Corse ayant dit « chiche ! » à ce scénario, le déclenchement du processus a pris la forme de l’article 46 au sein de la loi Pacte. Il planifie notamment une étude de faisabilité dans la perspective de cette évolution statutaire des chambres consulaires de Corse, un tournant majeur, déterminant, pour la vie économique et sociale de la Corse. Les conclusions de l’étude sont désormais livrées et, dans son discours d’intronisation, le président du Conseil exécutif de Corse a clairement souhaité que ce rattachement devienne effectif dans les meilleurs délais possibles.

La crise sanitaire va elle-même dans le sens d’une accélération du calendrier comme l’a rappelé dans notre dernière Lettre estivale Jean Dominici : « Le leadership confié à la Collectivité de Corse par les différentes lois de décentralisation et, en 2015, par la loi NOTRe dans les domaines de l’économie, de la formation et des transports, font apparaître plus encore tous les inconvénients à maintenir notre institution sous la tutelle de l’État. C’est avec beaucoup d’impatience mais aussi beaucoup de confiance que nous attendons les phases de décision et de mise en oeuvre. »

Séparer le bon grain de l’ivraie

L’étude a été réalisée par le cabinet d’expertise international EY entre mars 2020 et mars 2021. Sur le plan purement financier, la CCI de Corse a un volume budgétaire plus important et une situation plus confortable que celle de la Chambre de Métiers mais c’est une question qui ne parasite aucunement l’évolution statutaire attendue. Les experts ont planché sur trois hypothèses.

La première préconise une simple modification de l’autorité de tutelle, les chambres étant rattachées à la Collectivité suivant le même principe que celui qui les reliait à l’État et elles conservent leur statut tel quel. Elle n’a pas été retenue car elle rendrait inévitable l’organisation par la CdC d’une mise en concurrence pour les concessions portuaires et aéroportuaires une fois arrivées à échéance. C’est là un risque trop périlleux pour la survie même de l’institution consulaire. Se pose par ailleurs une question de constitutionnalité : le maintien du régime des chambres marqué par une forte autonomie n’est pas compatible avec le pouvoir de contrôle qu’entend légitimement exercer la Collectivité de Corse car une simple tutelle administrative ne suffit pas à caractériser juridiquement un contrôle.

Une autre hypothèse, la troisième, plutôt radicale (c’est un euphémisme), a été envisagée, celle de la disparition pure et simple des Chambres et de leurs représentations respectives. Les missions, les moyens et le personnel sont dès lors transférés à un des offices ou agences de la CdC déjà existants. L’identité des chambres, leur mode de fonctionnement et la gouvernance assurée par les ressortissants élus par leurs pairs disparaissent corps et âme. Le réseau consulaire n’existe plus. Une telle éventualité ne pouvait être raisonnablement envisagée que pour mieux la recaler.

Préserver le même mode de fonctionnement

Dans l’ordre des scénarios examinés à la loupe par EY, c’est le deuxième qui retient l’attention et qui a donc toutes les chances d’être le bon, même si le débat reste ouvert pour en dessiner les contours le plus précisément possible : la Collectivité de Corse crée un établissement public nouveau pour absorber la CCI de Corse. Un établissement public placé sous son contrôle au même titre que les autres offices et agences, doté d’un statut spécifique défini par ses soins et aussitôt désigné comme exploitant des concessions sans passer par une mise en concurrence qui n’a plus lieu d’être.

L’objectif serait de reproduire, autant qu’il est possible, le mode de fonctionnement des chambres tel qu’il existe actuellement en conservant – et c’est un point fondamental – le principe de représentants élus par les ressortissants du territoire réunis au sein d’une assemblée représentative avec ses différents collèges, commerces, industries, métiers.

Une gouvernance étagée est une perspective intéressante et appropriée qui est susceptible de tenir la corde. Elle pourrait, par exemple, prendre la forme d’un « Comité stratégique » contrôlé par la Collectivité de Corse et d’un « Comité exécutif » majoritairement composé des membres issus de l’assemblée représentative des entreprises et des artisans. Dans ce schéma, le Comité stratégique dessine les grandes orientations, définit la politique de la structure et nomme le comité exécutif à qui il délègue la gestion opérationnelle.

Ce dispositif ne se ferait pas sans l’intervention du législateur et l’aval du Conseil constitutionnel : transfert des compétences, des biens et des droits des chambres à la Collectivité de Corse (qui les transmettra à son tour à son établissement public une fois créé), continuité des statuts juridiques des personnels, équilibre à trouver entre la préservation du régime électoral des représentants des ressortissants et libre administration de la Collectivité.

Une transition en douceur mais dans les règles de l’art administratif. Le gouvernement et la Collectivité de Corse peuvent désormais décider en toute connaissance de cause.

Points d’interrogation

  • Quelles évolutions potentielles pour les personnels ?

Les statuts, dans leur diversité, sont maintenus, le format social n’est pas altéré.

  • Qu’est-ce qui change dans la prise de décision ?

Elle s’inscrit dans un nouveau modèle statutaire mais reste ce qu’elle est : la Collectivité décide de la stratégie et la CCI de Corse la met concrètement en oeuvre. En revanche, avec cette nouvelle articulation, elle gagne en efficacité, en lisibilité, en rapidité d’exécution.

  • Les ressortissants des chambres gardent-ils leurs prérogatives ?

Oui, à travers leur représentation élue comme aujourd’hui mais, là encore, dans un environnement institutionnel différent.

  • Les alternances politiques produiront-elles de l’instabilité ?

Au contraire, l’établissement public qui absorbera les chambres sera créé sur des fondations juridiques et statutaires nouvelles et solides, alors que sous la tutelle de l’État les réformes nationales fragilisent dangereusement le réseau consulaire en Corse depuis quelques années.

La Corse, un modèle à suivre ?

Le rattachement de nos chambres consulaires à la Collectivité de Corse pourrait créer un précédent, une sorte de jurisprudence nationale en la matière. Le modèle insulaire deviendrait, en quelque sorte, expérimental et serait susceptible de nourrir avantageusement les prochains débats parlementaires sur le projet de loi « 4D » (décentralisation, différentiation, déconcentration, décomplexification) dans le sens d’un rapprochement des institutions consulaires aux régions au nom d’une plus grande efficacité de l’action économique dans les territoires.

À l’heure actuelle, les régions sont encore rétives à cette idée mais si elles veulent peser sur le développement et l’emploi, elles pourraient se laisser convaincre, plus encore si le modèle corse apparaît comme pertinent aux yeux de tous. D’autant plus que le réseau consulaire national reçoit des coups de bambous d’un État qui, à contre-courant  des réformes décentralisatrices qu’il imagine, peine à s’affranchir de ses vieux démons jacobins. Déjà en juillet 2010, la loi sur les réseaux consulaires amorçait la déconnexion entre l’échelon local et les entreprises au profit d’une stratégie régionale encadrée par les préfets. Cinq ans plus tard, sous l’ère Hollande, l’État ponctionnait 500 millions d’euros sur les budgets des chambres de commerce qui avaient eu le tort de trop bien gérer leurs fonds. L’assèchement du réseau s’est encore accentué en le privant de près de 80% de ses ressources fiscales. Dans la foulée, la réduction du nombre de régions a encore accentué l’éloignement du terrain et des entreprises. Le réseau national des CCI semble voué à gérer la pénurie alors même que les chambres ont un rôle moteur à tenir dans le développement et la capacité d’adaptation à l’évolution sociale et économique de la société. Contrairement à ses grandes soeurs continentales,la Collectivité de Corse l’a parfaitement compris.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°13 (SEPTEMBRE 2021) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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