La Lettre | Processus Corse-Paris : Une rentrée difficile mais capitale

La Lettre | Processus Corse-Paris : Une rentrée difficile mais capitale

Croisons les doigts pour que le contexte social et international ne fragilise pas la poursuite des négociations à la mi-septembre. 

L’économie se positionne comme une constante dans les échanges, mais l’efficacité des mesures, notamment fiscales, passe par une rationalisation de notre écosystème institutionnel et public…

Dans quelques jours, le cycle des négociations entre la Corse et Paris va reprendre à la faveur d’une deuxième réunion de travail entre les élus et Gérald Darmanin. L’économie sera au coeur des échanges, comme s’y était engagé d’emblée le président du Conseil exécutif de Corse. La destination est certes connue, l’octroi d’un statut d’autonomie de plein exercice, mais le voyage sera long, sans doute harassant et semé d’embûches. C’est bien connu, toutes les épreuves ont leur raison d’être et, si on se donne les moyens et le courage de les affronter comme il le faut, elles peuvent s’avérer salutaires…

LE CLIMAT FORCE LA PORTE DES NÉGOCIATIONS

Gérald Darmanin est désormais un familier de la Corse. Investi par le Président de la République du rôle de négociateur sur le « Dossier corse », le ministre de l’Intérieur est devenu un résident régulier, statut imposé par l’actualité. Il est le seul membre du gouvernement à avoir dû renoncer à ses vacances estivales mais on l’a vu sur notre territoire pour des événements aussi dramatiques que les incendies dévastateurs et les épisodes orageux d’une extrême brutalité au point d’avoir été plusieurs fois meurtriers. Si on en parle ici, c’est bien parce ces phénomènes climatiques qui rendent la population de plus en plus anxiogène, ont un impact direct sur l’ensemble des activités économiques et qu’une force d’adaptation et de résilience est désormais requise, comme l’explique par ailleurs Nanette Maupertuis, la présidente de l’Assemblée de Corse, elle-même aux premières loges des négociations avec l’État.

Le spectre du changement climatique n’est plus une menace que l’on voit poindre à l’horizon. Il constitue désormais un cauchemar qui se conjugue au présent. La sècheresse a impacté tout le monde y compris les professionnels du tourisme, les commerçants et les artisans. La terrifiante séquence du 18 août, qui a suscité chez les experts du climat une surenchère de superlatifs, a causé des dégâts incommensurables, humains, matériels et moraux. Certes, le lien de causalité entre ce qui s’est produit et le réchauffement climatique n’a pas encore été scientifiquement établi. Mais au-delà de la sinistre promesse de pluies diluviennes cet automne, toutes les études convergent vers la même conclusion : face aux aléas, la région méditerranéenne est la plus fragile de toutes les régions de la planète, ce qui débouche sur deux conséquences présumées inéluctables : la chute progressive de la disponibilité en eau douce et la submersion marine d’une partie de notre littoral. On n’en est pas encore là, mais il faut préparer les générations futures à s’y mesurer. Déjà aujourd’hui, l’économie corse est directement impactée et pas seulement en raison des coupures d’électricité et du réseau téléphonique. Ou des injonctions de la Première ministre à serrer d’un cran la ceinture énergétique. Aussi, Gilles Siméoni demande au gouvernement de tirer les leçons pour améliorer les dispositifs d’alerte et ainsi éviter de nouveaux drames humains, mais il propose dans le même temps, à l’aune des événements sans précédents que la Corse a subis, que des réflexions approfondies et argumentées relatives aux prochaines politiques publiques de l’eau et de la transition écologique soient intégrées dans le cycle des négociations. Ce qui implique beaucoup de moyens en finances et en ingénierie.

LES ATTENTES FORTES DE NOTRE INSTITUTION

Toute la question est de savoir si, en ce mois de rentrée, la Corse sera encore classée parmi les dossiers prioritaires de l’État. L’internationalisation de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, l’inflation galopante des prix de l’énergie et à la consommation, les mesures draconiennes annoncées en direction de la sobriété énergétique, sans même parler de la réforme des retraites, de l’insécurité ou de l’école : ce package politico-économico-social présente tous les signes distinctifs d’un embrasement, au sein des assemblées délibératives et dans la rue. La rentrée sera, prédit-on, très agitée et notre territoire ne s’affranchira pas de cette effervescence. Ce contexte hautement inflammable ne remettra sans doute pas en cause les travaux conjoints entre la Corse et Paris, mais il pourrait y avoir des parenthèses et des pointillés ce que d’aucuns redoutent, notamment au sein de notre institution car les attentes en matière de développement, de fiscalité et de progrès social n’auront, elles, certainement pas faibli.

En raison de l’insularité, de l’étroitesse du marché et de l’hyper saisonnalité de l’économie, chefs d’entreprises, commerçants et artisans de Corse font preuve, bien davantage que leurs homologues continentaux, d’une réactivité, d’un dynamisme et d’une capacité d’adaptation telle que les résultats hissent régulièrement la Corse en bonne place au palmarès des performances. Mais ces tableaux synoptiques, flatteurs sur le court terme, constituent un trompe-l’oeil dans la durée. La vitalité finit toujours par s’épuiser lorsque les contraintes sont tout autant conjoncturelles que structurelles : carences chroniques du secteur de l’industrialisation, difficultés générales de recrutement des salariés et des cadres en particulier, accès difficile aux mécanismes nationaux des appels à projets innovants, coût de la vie et surcoûts cachés de l’insularité constituent des barrières aussi insurmontables que pourrait l’être dans un futur proche le mur de dettes post-covid. Toutes les mesures fiscales susceptibles d’être mises en oeuvre – y compris dans le cadre d’un statut d’autonomie – seront inopérantes sans une rationalisation par la simplification de l’ensemble de notre écosystème institutionnel et public : chambres consulaires, organismes publics de financement, services spécialisés de l’État, agences et offices de la Collectivité de Corse. Vaste chantier dont Gérald Darmanin a sans doute déjà une vision panoramique Sa visite officielle à la CCI de Corse, qui en appelle d’autres, témoigne de sa prise de conscience de la nécessité pour notre île d’élaborer un nouveau modèle économique. Le président du Conseil exécutif de Corse s’est dit volontaire pour le défendre. Le gouvernement est prêt à se montrer coopératif si on lui fait la démonstration de sa pertinence.

Contrairement au réchauffement climatique, le réchauffement politique sera bien plus bénéfique à la Corse…

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°24 (Septembre 2022) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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