La Lettre | Processus Corse-Paris : “Un projet phare de la mandature”

La Lettre | Processus Corse-Paris : “Un projet phare de la mandature”

C’est ainsi que Nanette Maupertuis qualifie le rattachement des chambres consulaires à l’horizon 2024. Elle nous a accordé son entretien de rentrée dans lequel la première femme présidente de l’Assemblée de Corse borde d’autres sujets que celui de l’intégration, en particulier celui du cycle des négociations avec le gouvernement relatif à une évolution statutaire de la Corse dont l’économie – sa spécialité au plan professionnel – et le social constituent une des pierres angulaires…

Quels espoirs pour la Corse laisse, selon vous, entrevoir le cycle de discussions ouvert avec le gouvernement ?

Ce cycle, je le rappelle, nous l’avons longtemps attendu. Le projet d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice est une revendication qui figure dans les programmes des majorités nationalistes élues depuis 2015. Il aura malheureusement fallu un drame et un soulèvement généralisé de la population, notamment de la jeunesse, pour que le gouvernement prenne enfin la mesure des aspirations profondes des Corses. Alors, l’espoir, s’il ne devait y en avoir qu’un seul, c’est que ce cycle nous porte, sans tabou, à la reconnaissance effective de nos spécificités et à leur prise en compte institutionnelle. C’est le projet pour lequel les Corses nous ont élus. 

De quelle manière apportez-vous votre propre contribution ?

J’apporte ma contribution à plusieurs niveaux. En tant que présidente de l’Assemblée de Corse, je m’attache à faire en sorte que notre institution, qui représente la pluralité des opinions, soit au coeur du processus. Une de mes contributions est – et sera donc – de garantir que l’Assemblée soit la matrice des débats, en organisant des temps de restitution et de dialogue sur le processus, en coordonnant la Conférence des Présidents et en organisant, via le travail des commissions de l’Assemblée, les approfondissements nécessaires au suivi des discussions politiques et techniques. Je tiens d’ailleurs à préciser que l’institution que j’ai l’honneur de présider dispose de nombreuses expertises et d’un historique de grande valeur sur les statuts successifs de la Corse et les processus ayant permis leur mise en oeuvre. Je m’attache donc à mobiliser l’ensemble de ces compétences pour que nous soyons collectivement à la hauteur des attentes de notre peuple. Sur le plan des discussions qui s’ouvrent, je souhaite – comme le prévoit la fonction que j’occupe – éclairer les échanges dans, et en-dehors, de l’hémicycle. Dans ce contexte, une de mes premières contributions a concerné les liens entre autonomie et bien-être économique afin de sensibiliser les élus, et les Corses dans leur globalité, sur le bienfondé de notre projet et de la démarche engagée.

 

« L’autonomie n’est pas une forme d’incantation mais bien un projet concret et connecté aux attentes quotidiennes des citoyens. »

 

Vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Ce rapport, qui faisait état d’une étude que j’ai sollicitée au mois de juin, indique de manière factuelle et à travers une revue de littérature scientifique robuste que les régions bénéficiant d’une dévolution, notamment fiscale, disposent d’indicateurs favorables en matière économique, sociale et environnementale. Il s’agit d’une contribution technique dont la vocation était bien de démontrer que l’autonomie n’est pas une forme d’incantation mais bien un projet concret et connecté aux attentes quotidiennes des citoyens. À l’avenir, comme à cette occasion, j’essaierai de manière pragmatique et transpartisane d’apporter, à chaque fois que cela sera pertinent, ma vision des différents sujets qui seront abordés, notamment sur les questions d’insularité, d’économie ou encore d’Europe et international. À travers mes engagements européens, notamment au sein du Comité des Régions, j’essaie également d’alimenter nos réflexions et travaux à travers des exemples européens et des rencontres avec les représentants de Régions autonomes. Je m’attache encore à porter le message de la prise en compte de l’insularité à l’échelle communautaire car il est complémentaire d’une démarche pour l’autonomie. Enfin, dans le cadre des négociations en cours, je souhaite préserver et renforcer le rôle de l’Assemblée de Corse au sein du nouveau statut car je crois dans le modèle parlementaire et dans l’importance d’institutions efficaces et performantes au service des intérêts de notre peuple. L’étude commandée et citée auparavant mentionne d’ailleurs que la qualité des institutions est un préalable, autant qu’une conséquence d’ailleurs, au bien-être dans les régions autonomes. 

Même dotée d’une institution solide, qu’est ce qui permet de dire qu’une telle évolution statutaire serait décisive pour faire avancer des dossiers aussi vitaux que le traitement des déchets, l’autosuffisance énergétique ou la politique de l’eau ?

L’évolution institutionnelle sera décisive pour ces sujets et bien d’autres à partir du moment où elle donnera à la Collectivité de Corse, et c’est ce que nous demandons, la possibilité de disposer de compétences pleines et entières et des moyens pour les exercer. Pour ne prendre que l’exemple des déchets, je ne vous apprends rien si je vous dis que la compétence est éclatée entre les intercommunalités, le Syvadec, la Collectivité et l’État. On est sur l’exemple type d’une politique publique qui subit la contrainte réelle de l’éclatement des compétences et des moyens d’intervention, souvent amplifiée par des visions et intérêts antagonistes. C’est le contraire de notre projet d’autonomie qui a notamment pour objectif de transférer et ainsi clarifier les compétences.

Gilles Simeoni a-t-il raison de dire aussi que l’autonomie c’est l’économie ?

Oui évidemment ! En tant qu’économiste, j’ai souhaité à travers ma première contribution que j’évoquais tout à l’heure, aller plus loin et dire oui, l’autonomie c’est l’économie mais c’est surtout le bien-être. Car dans le contexte économique et social actuel, se limiter de façon exclusive à une vision économique des enjeux risquerait de nous couper des Corses dont les préoccupations sociales sont grandissantes.

Alors plus que de parler de performance économique, je suis convaincue qu’il est important de travailler à un projet inclusif où l’économie n’est pas dissociée du social et de l’environnemental.

Justement, dans quels domaines d’excellence pensez-vous que l’économie de la Corse doit s’engager sans renoncer à des activités traditionnelles comme le tourisme ?

Vous connaissez mon engagement en faveur du riacquistu ecunomicu è suciale, de la diversification de notre modèle économique et aussi en faveur d’un tourisme plus durable et innovant. La crise Covid nousa, une fois de plus, démontré l’importance de ne plusdépendre exclusivement d’un secteur économique.Je reste convaincue, que dans un monde globalisé,post-Covid, la carte que la Corse doit jouer estcelle des transitions écologiques, énergétiques etnumériques, et plus globalement de l’innovation ycompris sociale, car nous évoluons dans un contextefaiblement industrialisé où l’expérimentation peut êtrefacilitée par le faible nombre d’acteurs en présenceet une capacité d’adaptation au regard de la taillede nos entreprises. Il existe ensuite une dimension productive importante à valoriser via le Fattu In Corsica et la valorisation de matières et ressources locales qui peuvent représenter un atout important en faveur du rayonnement de notre île à l’international, indispensable au regard de la taille restreinte de notre marché.

L’intégration des chambres consulaires au seinde la Collectivité de Corse à l’horizon 2024 est-elle une bonne chose ?

En premier lieu, je rappelle que l’Assemblée deCorse a pu débattre de cette question, en janvierdernier, lors de la présentation par le président duConseil exécutif d’un premier rapport d’informationsur l’étude du transfert de la tutelle de la Chambre deCommerce et d’Industrie de Corse et de la ChambreRégionale de Métiers et de l’Artisanat de Corse versla Collectivité de Corse. Cette étude a été diligentée à la suite du rapport de l’Inspection Générale desFinances (IGF), du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et du Contrôle général économique et financier (CGEFI, 2018) consacré à la « revue des missions et scénarios d’évolutions des chambres de commerce et d’industrie et des chambres des métiers et de l’artisanat » qui prévoyait parmi différents scenarii celui du changement de tutelle. L’étude réalisée parEY et coordonnée par la CDC pour l’ensemble des parties-prenantes a permis de faire le point sur les différentes options qu’impliquerait un changement de tutelle, et sur la faisabilité de cette décision.Ceci posé, je précise aussi que les Chambres de commerce et d’industrie et de métiers et de l’artisanat sont des institutions économiques de proximité et représentent, a fortiori dans une économie insulaire, un outil majeur au service des entreprises et du développement économique. Aussi, l’intégration entreles Chambres et la Collectivité est non seulementune bonne chose sur le plan opérationnel mais unedécision politique pertinente et cohérente au regarddes transformations que ces chambres consulairesconnaissent depuis plusieurs années et de l’évolutioninstitutionnelle que connaît la Corse depuis 2018,fusion des trois collectivités et processus en courspour l’autonomie.

Quels sont les arguments que vous privilégiez ?

Les arguments sont nombreux : ce processus, jel’ai dit, va dans le sens de l’histoire mais aussi dansle sens actuel du projet que nous portons à savoirune dévolution de compétences de l’État vers laCollectivité. De plus, depuis 2015, la Loi NOTRe a fait de la Collectivité le chef de file du développement économique pour coordonner l’ensemble des acteurs ayant compétence dans ce domaine, EPCIet consulaires. Le rattachement des chambres peut donc contribuer à l’harmonisation des politiques publiques en matière économique et permettre la mise en synergie d’outils et infrastructures majeures en matière de transport et de formation notamment.

Enfin, au regard de l’incertitude qui plane sur le modèle consulaire depuis plusieurs années, cette solution permet également de sécuriser ces institutions, leurs infrastructures, compétences et ressources humaines. À ce jour donc, l’opportunité d’une telleopération fait consensus, l’enjeu est désormais celuide la mise en oeuvre.

2024, qui sera une année olympique, est-elle labonne pour réussir l’intégration ?

Nous avons un horizon clair, c’est 2024. L’échéanceest également posée dans le cadre des négociationsavec le gouvernement car c’est la date qui correspondà l’expiration des contrats de concessions portuaireset aéroportuaires. D’ici là, de nombreuses étapes préalables seront nécessaires pour garantir ce passage de tutelle, notamment la création d’un nouvel établissement public, la mise à plat des compétences entre la Collectivité, les agences et offices concernées (ADEC et ATC) et les chambres. J’ignore s’il y aura des médailles au bout mais ce que je sais, c’est que l’Assemblée de Corse aura un rôle fondamental à jouer dans la validation de l’ensemble des étapes de ce rattachement, qui constitue un projet phare de la mandature.

 

« Le rattachement des chambres peut contribuer à l’harmonisation des politiques publiques en matière économique et permettre la mise en synergie d’outils et infrastructures majeures en matière de transport et de formation. »

 

Sècheresse chronique suivie de tempêtes funestes. Il faudra apprendre rapidement à vivreavec la brutalité climatique. L’économie aussi ?

Au regard des évolutions climatiques que nous subissons, il est évident que l’économie doit s’adapter.L’ensemble des acteurs économiques de tous les secteurs, celui du tourisme en particulier, sont d’ores et déjà confrontés au réchauffement climatique et à ses conséquences irréversibles. Une adaptation des infrastructures apparaît indispensable mais il va falloir également réfléchir à de nouveaux produits touristiques car la saison va connaître elle-même des bouleversements au niveau du climat et donc du calendrier. Et se préoccuper de la gestion de l’eau,un sujet fondamental car la quasi-totalité des activitésprésentes sur notre territoire en dépend. Cette capacitéd’adaptation se double d’une capacité de résilience.La crise sanitaire a déjà montré qu’elles ne faisaientpas défaut à la Corse. Mais il faudra des politiques publiques fortes de transition économique portées parla Collectivité de Corse et pensées avec l’ensemble des acteurs, communes, intercommunalités et, bien sûr, chambres consulaires.

 

« J’habite la fonction avec pragmatisme et ambition »

Vous êtes la première femmeélue à la présidence de l’Assemblée de Corse. Vous avez pris vos marques ?

Je suis effectivement la première femme élue à la présidence de l’Assemblée de Corse, et comme j’ai eu l’occasionde le dire lors de ma première intervention : Donna so è donna sto !S’agissant de prendre mes marques, je ne pense pas que cela soit lié à mon genre. La présidence de l’Assemblée de Corse est une fonction exigeante, mes prédécesseurs peuvent tous en témoigner. En tant que femme de terrain, professionnelle, habi-tuée à mener des projets, je découvre les codes institutionnels et essaie, de manière respectueuse et avec la rigueur qui me caracté-rise, de les faire miens. L’année qui vient de s’écouler a été une année dense marquée par les 40 ans de l’Assemblée mais aussi par une crise politique et sociale majeure sans compter la tempête du mois d’août. Mais je crois pouvoir affirmer, modestement, que j’habite cette fonction à ma façon, avec pragmatisme, travail et une ambition certaine de ce que l’As-semblée de Corse doit porter en termes de vision programmatique et d’ouverture au monde. À ce sujet, à compter de ce mois de septembre, je déclinerai et ce, tout au long de mon man-dat, un programme d’actions en matière de prospective, de suivi des grandes transitions impactant notre île, de prise en compte de l’insularité et de coopération euro-péenne et internationale.Je travaille avec une équipe mobilisée et des personnels de l’Assemblée investis pour faire que notre institution soit toujours plus proche des Corses et s’ins-crive dans la modernité. Toujours avec la même ambition qui n’est pas une formule mais une raison d’être et d’agir : défendre l’intérêt de la Corse et des Corses !

 

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°24 (Septembre 2022) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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