[CORSE-MATIN] L’Exécutif veut réguler l’activité des bateaux de croisière

[CORSE-MATIN] L’Exécutif veut réguler l’activité des bateaux de croisière

La fréquence d’escales et le gigantisme des navires engendrent de vives protestations depuis plusieurs mois. En collaboration avec la CCI, Gilles Simeoni a entamé, hier, un cycle de travail visant à définir un modèle conciliant les enjeux économiques et environnementaux

La saison 2022 fut celle de tous les records. Avec 227 escales et près de 600 000 passagers pour le seul port d’Aiacciu, depuis le mois de mars et jusqu’au mois de novembre, le secteur de la croisière a fait de l’île une étape incontournable de son offre commerciale en Méditerranée. À l’heure où certains territoires tentent de chasser ces navires gigantesques de leurs plans d’eau, le développement de la destination Corse a provoqué de nombreuses réactions citoyennes, relayées par les associations de défense de l’environnement et traduites en actes par les militants du parti indépendantiste Core in Fronte notamment.

Pour contenir cette grogne généralisée. Gilles Simeoni avait, dès la session de l’Assemblée de Corse du 30 juin dernier, annoncé son intention de solliciter les acteurs publics du secteur, au premier rang desquels figure la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Corse, en tant que concessionnaire des ports. « Ce type de séjours sur des méga bateaux polluants ne correspond pas aux axes de tourisme durable que nous essayons de renforcer », avait déclaré le président du Conseil exécutif, en réponse à une question orale de Romain Colonna. « Néanmoins, avait-il poursuivi, il y a une économie, des retombées. »

C’est pour concilier les enjeux économiques et contraintes environnementales que le Conseil exécutif a souhaité réunir, hier dans la salle Prosper-Alfonsi de la Collectivité de Corse (CdC) à Aiacciu, les représentants de la CCI et les maires d’Aiacciu et Bastia. « Nous lançons un cycle de travail qui s’élargira aux associations de défense de l’environnement et aux associations de commerçants. Le but c’est de construire un modèle partagé », a martelé Gilles Simeoni.

Sur un sujet sensible, potentiellement explosif tant les intérêts divergent, l’esprit de concorde semble avoir régné hier autour de la table. « On a réussi à définir une ambition commune », savoure Stefanu Venturini, vice-président de la CCI. La chambre consulaire, pointée du doigt pour avoir établi un planning d’escales accumulant les unités gigantesques en 2022, se défend d’être déconnectée des problèmes de santé publique, tout en insistant sur la nécessité de discerner les différents opérateurs.

« Les choix politiques relèvent de la CdC, nous sommes un outil destiné à l’exécution de cette politique, poursuit le vice-président de la chambre de commerce. Comme la CdC, nous sommes à la recherche de meilleures solutions pour ce territoire et ses habitants. Ça ne veut pas dire forcément moins de bateaux, mais plutôt des navires moins polluants, plus vertueux en termes de statistiques environnementales. À nous d’aller chercher les meilleurs dans chaque catégorie, de choisir ceux qui fonctionnent au GNL, qui ont les meilleurs filtres et le moins d’émissions en tous genres. Nous avons les moyens de le faire. »

La programmation des escales pour la saison 2023 est en cours d’élaboration, des réservations sont déjà validées. Mais les acteurs de la table ronde s’autorisent le droit de refuser l’accès aux ports de certaines unités dès l’année prochaine. « Si notre volonté politique est de construire ce modèle, nous avons d’ores et déjà les moyens techniques et juridiques de contribuer à son émergence, assure Gilles Simeoni, opportunément taquin. Avec un statut d’autonomie, nous aurions plus de possibilités législatives et réglementaires. »

Des études statistiques à renouveler

Depuis la salle de son conseil municipal, Stéphane Sbraggia jouit quotidiennement d’une vue imprenable sur ces immeubles flottants. Le maire d’Aiacciu préconise lui aussi l’approfondissement des études environnementales et économiques.

La dernière dont dispose la CCI date de 2017 et estime à 50 euros la dépense moyenne d’une croisiériste qui débarque sur un port de l’île. « Il faut sortir de l’émotion et améliorer notre niveau d’information pour ne plus opposer deux thématiques mais, au contraire, pour les concilier, plaide Stéphane Sbraggia. On doit balayer les spéculations avant de définir le modèle que l’on souhaite ».

D’autant que les chiffres déballés doivent subir un affinage. « Cinquante euros par croisiériste, ça ne veut pas dire grand-chose, pondère Stefanu Venturini. En fonction des compagnies, des passagers, de leur pays d’origine, cela peut varier. Il faut affiner, étudier et quantifier l’offre pour prendre les bonnes décisions. »

En attendant, le maire d’Aiacciu milite pour une action dynamique. « Entre le recueil de données et la mise en place définitive du modèle, notre démarche doit s’enclencher, encourage Stéphane Sbraggia. On peut déjà éliminer de l’offre les armateurs qui ne s’inscrivent pas dans une démarche vertueuse. »

La saison qui s’achève a donc cumulé tous les records (nombre d’escales, de passagers, dimension des navires…), autant qu’elle a soulevé les protestations les plus vives. Les acteurs publics réunis hier, et qui doivent se revoir d’ici la fin de l’année, ont annoncé la rédaction d’une charte avant le coup d’envoi des escales 2023. « L’efficacité du modèle sera effective d’ici deux ou trois ans », prévient toutefois Stefanu Venturini.

Un délai qui ne fige pas l’objectif de l’exécutif et de Gilles Simeoni : « Nous avons la main sur la manière de gérer nos ports. Nous sommes en mesure d’envoyer des messages très forts dès la saison prochaine pour dire ce dont nous ne voulons plus. Il faut, sans attendre, proscrire les gros bateaux polluants représentant un tourisme prédateur. »

JEAN PHILIPPE SCAPULA