La Lettre | « L’outil fiscal est un levier fondamental » : Entretien avec Jean-Christophe Angelini

La Lettre | « L’outil fiscal est un levier fondamental » : Entretien avec Jean-Christophe Angelini

Maire de Porto-Vecchio, la troisième ville de Corse, et ancien président de l’Adec, Jean-Christophe Angelini estime qu’une fiscalité adaptée, c’est aussi important que l’avancée institutionnelle

L’aéroport de Figari a enregistré la plus forte croissance nationale. Une bonne nouvelle pour votre territoire ?

Une excellente nouvelle. Réguler les flux et même modifier le modèle touristique ne signifie pas pour autant fermer les vannes. Nous avons autant besoin d’accueillir nos visiteurs dans les meilleures conditions possibles que d’une infrastructure qui sécurise la desserte du territoire tout au long de l’année. Je suis donc très satisfait des résultats de Figari tout en ayant parfaitement conscience de la nécessité d’avoir une phase importante de travaux pour un aéroport plus sûr, plus écologique, mieux adapté à sa fréquentation.

Justement, des travaux sont régulièrement entrepris mais les moyens financiers ont leur limite…

La Collectivité de Corse a dans ce domaine une responsabilité majeure qu’elle délègue avec une confiance hautement justifiée  à la CCI de Corse. Dans le cadre du Plan de transformation, d’innovation et d’investissement de l’État et de toute autre programmation du même ordre, nous devons négocier une enveloppe globale de plusieurs centaines de millions d’euros pour en finir avec le retard dans nos infrastructures dont le site de Figari pour lequel il faudrait investir de 60 à 70 millions, aérogare, stationnement, activités économiques, empreinte carbone, etc., et ce, sur plusieurs exercices. Malgré ça, nous avons une attractivité qui perdure avec une constance équivalente au manque de visibilité concernant les grands travaux, je pense au port de la Carbonite, au réseau routier, aux barrages hydrauliques, etc., sans perdre de vue l’amélioration de l’existant. Oui, un plan massif de rattrapage est indispensable.

La CCI lance un nouveau dispositif d’incitation pour renforcer les liaisons aériennes existantes et en créer de nouvelles, le tout sur la durée. L’Extrême-sud est-il taillé pour l’étalement de la saison ?

Oui. La réponse à la sur-fréquentation, ce n’est pas la sous-fréquentation, c’est l’annualisation. L’Extrême-sud a vocation à structurer son offre sur six à huit mois sans grande difficulté. L’idée est de mettre en tourisme des lieux trop peu investis, l’arrière-pays, la montagne, la ruralité. Tout ce qui relève du tourisme culturel, patrimonial, gastronomique peut s’organiser en amont et en aval de la période estivale. Si les compagnies jouent le jeu, tant mieux. Mais il faut renforcer l’acceptabilité environnementale du tourisme car les gens qui n’en vivent pas n’ont pas à supporter les désagréments. L’annualisation est la solution. Elle passe par une professionnalisation de l’offre et une desserte portuaire et aéroportuaire étalée.

Et quelle est votre vision de l’évolution du port de Porto-Vecchio ?

Intégrer le port de commerce dans le chantier global d’extension du port de plaisance et de pêche dont il est mitoyen. Ces infrastructures ne doivent pas mutuellement s’ignorer. Au contraire, l’idée est de les faire dialoguer. Pour cela, nous avons plusieurs projets : réaliser la connexion des deux ports, commerce et plaisance, par une aire technique située à équidistance ou bien aménager un parc environnemental d’une centaine d’hectares depuis les abords du port de commerce jusqu’à la sortie sud de la ville qui inclurait la zone du Stabiacciu. Ce port doit renouer avec sa vocation originelle, à savoir l’ouverture vers la Sardaigne et l’Italie continentale – la liaison avec Civitavecchia fonctionnait très bien par le passé – en se préservant contre l’érosion du trait de côte largement amplifiée par les dragages répétés. C’est ce à quoi nous nous attelons. 

Pourquoi avez-vous adhéré au projet d’intégration des chambres consulaires dans le giron de la Collectivité de Corse ?

Les derniers gouvernements de la France ont entrepris d’étrangler le monde consulaire. C’est donc moins une question de choix politique que de survie. En ma qualité passée de président de l’Adec, j’ai été sans prétention parmi les premiers à encourager ce rapprochement. L’autonomiste convaincu que je suis est favorable, politiquement et intellectuellement, à l’idée qu’un établissement public d’État devienne un établissement public territorial mais surtout, de manière beaucoup plus pragmatique, j’y vois le moyen idéal de maîtriser nos infrastructures, notre offre de transport et d’assurer un avenir aux milliers de salariés, directs et indirects, qui dépendent du tissu consulaire.

du tourisme car les gens qui n’en vivent pas n’ont pas à supporter les désagréments. L’annualisation est la solution. Elle passe par une professionnalisation de l’offre et une desserte portuaire et aéroportuaire étalée.

du tourisme car les gens qui n’en vivent pas n’ont pas à supporter les désagréments. L’annualisation est la solution. Elle passe par une professionnalisation de l’offre et une desserte portuaire et aéroportuaire étalée.

Vous militez pour un nouveau modèle économique. Qu’est-il possible de faire en l’état actuel de la situation ?

Il faut travailler à consolider et à régénérer l’offre touristique, nous l’avons évoqué, tout en diversifiant résolument les autres leviers de développement. Si elle n’y prend pas garde, la Corse va passer à côté de l’économie liée à la transition écologique, notamment les énergies renouvelables, à côté de l’économie bleue, l’économie de la mer, qu’au-delà du transport, de la pêche, de l’aquaculture, de la recherche scientifique, elle ne valorise pas assez à mes yeux alors même qu’elle a un environnement béni des Dieux de ce point de vue-là. Idem pour l’agroalimentaire à mieux articuler avec les flux du tourisme. Idem pour le commerce de proximité. Il y a un certain nombre de pistes que l’on doit explorer plus intensément y compris en termes d’incitation fiscale pour que l’ensemble des Corses puissent bénéficier des retombées voulues.

En quoi un statut d’autonomie pourrait le permettre ?

Pour beaucoup au plan fiscal. Contrairement à certaines idées reçues, la Corse n’a pas de pouvoirs très étendus en matière économique ou touristique. L’essentiel des compétences est partagé. Et lorsqu’elle a la pleine compétence d’un secteur particulier, l’absence de statut fiscal adapté la freine. Il y a un travail à réaliser sur la fiscalité au sens des charges patronales, au sens des zones franches auxquelles on peut avoir recours de façon sectorielle et ponctuelle, au sens du statut de pluriactivité dans l’intérieur. Or, la fiscalité actuelle de la Corse est structurellement inadaptée. Il faut territorialiser une part significative de son produit fiscal, quitte à supprimer des dotations d’État, pour qu’il demeure dans l’île. On peut en même temps imaginer un outil qui permette de mobiliser en partie les milliards d’épargne corse qui dorment sur des comptes bancaires et placements divers. Dans un territoire qui accuse un taux de pauvreté anormalement haut et qui recense une écrasante majorité de TPE, un nouveau modèle économique et social et un statut fiscal sont requis. Partout dans les îles de la Méditerranée et sur le continent européen, on rencontre des autonomies fiscales abouties et des niveaux de développement élevés.

Vous avez confiance dans le processus engagé avec l’État pour y parvenir ?

En tout cas, je souhaite ardemment la reprise du dialogue, convaincu que le volet économique, social et fiscal est aussi important que le volet institutionnel et politique.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°29 (février 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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