La Lettre | Corse Composites Aéronautiques : la réussite en “mode avion”

La Lettre | Corse Composites Aéronautiques : la réussite en “mode avion”

Ce fleuron industriel de la Corse souffle cette année ses quarante bougies. Mais loin de l’état d’essoufflement, ce partenaire unique et apprécié des plus gros avionneurs du monde investit sur l’avenir…

L’innovation pour plan de vol. La devise dont Corse Composites Aéronautiques (CCA) s’est dotée, n’est pas usurpée. Installée depuis quarante ans à proximité de la centrale du Vazzio, l’entreprise ajaccienne est à la pointe de l’industrie du ciel à laquelle elle fournit un savoir-faire mondialement reconnu : 

la fabrication de pièces en matériaux composites, en l’occurrence l’assemblage infiniment savant, précis et complexe de feuilles de carbone et ce, en n’éludant aucune étape, depuis l’étude jusqu’à la production en série en passant par la conception, le développement et la phase ultime de la certification. Les deux géants de l’aéronautique que sont Airbus et Dassault Aviation (60 milliards de chiffre d’affaires à eux deux !) sont ses principaux clients mais Boeing pointe peut-être déjà le bout de son fuselage. À seul titre d’exemple, CCA fabrique des pièces pour soixante A320 par mois. Il faut tenir la cadence. Pour l’essentiel, la société corse fabrique les trappes de train d’atterrissage et ce qu’on appelle le « karman », un élément essentiel de raccordement du « ventre mou » de l’avion, situé entre le moteur et le mât-réacteur de la voilure, mais qui s’intègre également à une autre partie de l’appareil, les nacelles des moteurs. Il suffit de pénétrer dans le coeur névralgique du site, la  « salle blanche », appellation sans doute inspirée par le ballet ininterrompu de blouses blanches, pour mesurer la très haute technicité de fabrication et la dextérité exigée par le moindre geste. Du travail de dentelle fignolé, au bout du process, par un contrôle approfondi et minutieux aux ultrasons. On ne s’attardera pas sur les laboratoires et bureaux dédiés à la recherche où les ingénieurs sont équipés de casques de réalité virtuelle pour tester les outils avant même de les créer. Tout ce qui fait du site ajaccien un pôle d’excellence de renommée internationale. 

CCA (un effectif de 400 personnes qualifiées et 25 postes actuellement ouverts au recrutement), épaulé par son voisin sous-traitant PCM (Performance Composite Méditerranéen) et sa filiale de fabrication en Tunisie, ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Elle va investir environ 10 millions d’euros sur deux ans pour, notamment, acquérir une machine de drapage automatique pour la réalisation de ses pièces composites et un robot de ponçage. Corse Composites Aéronautiques, c’est aussi l’invention et le développement des matériaux du futur. La Direction générale de l’Aviation civile va financer en partie ses recherches. 

On pourra bientôt juger sur…pièces.

Entretien avec le Directeur Général Jean-Yves Leccia

 

Comment avez-vous traversé la crise sanitaire avec tous les avions ou presque cloués au sol ?

Les cadences de production se sont effondrées et, en deux ans, nous avons perdu 50 % de notre activité. Nous avons mis en place un plan de sécurisation de l’outil industriel qui était en péril. Avec notre aide, un certain nombre de personnes ont volontairement quitté l’entreprise pour se reconvertir ailleurs. Parallèlement, on a accéléré notre transformation de manière à sortir de la crise plus fort que lorsqu’on y est rentré. Cette année, malgré 25 % d’activités de moins qu’en 2019, nous visons l’équilibre financier car nous avons réussi notre transformation et que nous sommes sur le marché plus compétitifs qu’on ne l’était en 2019. Aussi, nous attendons avec confiance les programmes lancés par Airbus et Boeing pour pouvoir les décrocher grâce aux nouveaux moyens industriels que nous avons mis en place.

Comment gérez-vous la crise énergétique ?

Pour être honnête, j’ai pu constater que la Corse est moins impactée que le Continent en raison de l’obligation de passer par EDF alors qu’ailleurs, le recours de certains de nos partenaires à des fournisseurs alternatifs a généré pour eux des augmentations de coûts monstrueux. À ce jour, la Corse me semble plutôt protégée avec une hausse contenue à 15 %.

Quel est l’impact de la réduction de l’empreinte carbone dans vos recherches et vos modes de fabrication ?

Un constructeur qui cherche à diminuer son empreinte carbone va avoir besoin, entre autres solutions, d’avions beaucoup plus légers et donc équipés de plus en plus avec des matériaux composites. Dans ce contexte, notre positionnement est plutôt favorable.

Airbus teste un appareil propulsé à l’hydrogène. Vous êtes dans le coup ?

Le sujet nous passionne mais aujourd’hui, nous ne sommes pas associés à l’expérimentation d’Airbus qui, à mon avis, va prendre des années. Mais au final, cette innovation va s’adosser à des aéronefs légers et c’est à ce titre que nous sommes bien placés.

Qu’est-ce qui vous donne donc des perspectives d’avenir ?

Nonobstant la crise, l’aéronautique représente en moyenne une croissance de 3 à 6 % par an. Autre point positif, nous sommes experts sur certaines familles de produits et reconnus comme tels. Enfin, nous avons spécialisé nos sites. Nous ne cherchons pas à fabriquer en Corse des choses susceptibles de l’être dans des pays à bas coût, cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied, mais on cherche plutôt à développer des choses qui amènent de la vraie valeur ajoutée.

Corse Composites Aéronautiques a 40 ans. Une fierté pour une région aussi peu industrialisée que la nôtre ?

Oui, une fierté pour les salariés, la fierté aussi d’avoir eu une oreille attentive des élus locaux quelles que soient les tendances et c’est encore le cas aujourd’hui à travers l’Adec ou la CCI de Corse. En même temps, l’entreprise a failli disparaître deux fois : un première fois dix ans après sa création et plus récemment avec la crise Covid. La vigilance est d’autant plus de mise que son sort est intimement lié au marché dans lequel elle évolue, à ses règles comme à ses soubresauts. À une exception près, tous nos concurrents se trouvent dans le monde entier et le plus petit d’entre eux est vingt fois plus gros que nous ! Nous n’avons pas le droit de nous tromper dans nos choix stratégiques.