La Lettre | Entretien avec Alex Vinciguerra : “La fiscalité d’une réserve d’indiens”
Alex Vinciguerra mise sur la reprise des discussions avec l’État pour avoir une fiscalité qui renforce la production locale. Le président de l’Adec annonce, par ailleurs, un rapport sur la responsabilité sociétale des entreprises.
- En quoi la réduction des fractures territoriales peut-elle favoriser le développement économique local ?
D’abord, on ne raisonne pas pour la CAB et pour la CAPA comme on raisonnerait pour des bassins ruraux, Alta-Rocca ou Castagniccia-Casinca, par exemple. Il s’agit d’adapter nos logiques de développement au plus près du terrain. Ensuite, il faut faire en sorte que ces logiques ne s’imposent pas d’Ajaccio, c’est-à-dire d’une vision régionale centralisée mais, au contraire, faire en sorte que ceux qui font la croissance, les entrepreneurs, disent ce qu’ils souhaitent faire, comment et avec qui. À nous de trouver les moyens techniques et financiers pour concrétiser leurs desseins.
- Quel rôle pour la CCI de Corse dans cette stratégie de territorialisation ?
Elle nous accompagne dans cette stratégie qui se décline de deux façons. Celle qu’impose la loi NOTRe qui passe par la signature de conventions entre la Collectivité de Corse et les Communautés de communes et celle qui fait collaborer les agents de terrain – dont ceux du réseau consulaire parfaitement maillé sur le territoire – les agents des intercos et les agents de l’Adec pour accompagner au mieux les initiatives locales, en commençant par les détecter et pour cela il faut être au plus du terrain. Il a été décidé que les fonds publics seraient prioritairement consacrés à l’accompagnement de production de biens et services au détriment d’activités dites commerciales. Toutefois, si une épicerie se crée à Murato ou un bar à Moca-Croce, nous serons en soutien car, en même temps, on crée de la vie au village et la dimension sociale d’un projet est pleinement intégrée à la philosophie de notre politique économique.
- À part les deux grandes agglomérations, les intercommunalités sont-elles de taille à être les partenaires escomptés alors même qu’elles sont déjà rétives à endosser la compétence de l’eau ?
Rares sont les EPCI qui proposent des plans de développement car la gestion des déchets et de l’eau préoccupe davantage que l’économie qui est pourtant leur compétence première. Les intercos qui ont un plan sont les premières à être accompagnées. Pour les autres, je pense que la CCI de Corse est à même de contribuer à leur émergence avec l’appui logistique et financier de la Collectivité de Corse. Elle a l’expertise, la connaissance du terrain et des hommes et le souci obsessionnel d’améliorer notre tissu économique.
- Que les institutions consulaires passent sous la tutelle de la Collectivité de Corse va changer les choses ?
C’est un long procédé qui prend sa source dans la loi PACTE et sa légitimité dans un vote à l’Assemblée de Corse. Des trois scénarios proposés par l’étude EY, c’est celui qui préconise l’absorption des chambres consulaires par un nouvel établissement public sous tutelle de la Collectivité de Corse qui a été retenu. Le Conseil exécutif a saisi le gouvernement à ce sujet et nous attendons de savoir quelles seront les modalités légales pour réaliser ce transfert. Je crois que ce sera une bonne chose dans la mesure où nous serons sous une sorte de commandement commun qui doit générer une plus grande cohérence entre l’action des chambres et l’action des agences et offices de la Collectivité. À nous de bien répartir les compétences pour ajouter l’efficacité à la cohérence.
- Vous misez sur la réorganisation des filières productives en invitant artisans et entrepreneurs à se regrouper et à s’inscrire dans une dynamique collective. Mais est-ce dans notre culture ?
Ce n’est évident ni ici ni ailleurs. Mais lorsque les professionnels comprennent qu’une dynamique collective peut s’avérer fructueuse, il y a derrière des réussites exceptionnelles, notamment dans les filières de production. Celle de la clémentine, grâce à laquelle les producteurs ont vu leur marge décuplée, est un exemple parmi d’autres.
- Que compte faire l’Adec pour soutenir le commerce de proximité frappé par les crises, le coût de l’énergie, la baisse du pouvoir d’achat et la double concurrence des grandes enseignes et d’internet ?
Nous ne soutenons pas les commerçants à titre individuel mais nous sommes prêts à soutenir, et c’est nouveau, les actions collectives proposées par les associations de commerçants, que ce soit pour rendre leurs façades plus attractives, rénover les locaux ou constituer un réseau de vente numérique. Ce type d’actions, particulièrement dans les coeurs de ville et dans le rural, permet de maintenir une vie sociale pour ne pas dire la vie tout court.
- Et vous disposez d’une ligne budgétaire pour cela ?
Oui, à défaut je ne vous en parlerais pas. Mais vous me donnez l’occasion de rappeler que l’année dernière, nous avons injecté près de 40 millions d’euros dans l’économie et aidé 800 entreprises.
- Vous redoutez comme votre prédécesseur, Jean-Christophe Angelini, de voir la Corse passer à côté de l’économie de la transition écologique ?
Le meilleur remède pour dissiper les doutes, c’est agir ! Sur la transition écologique, nous présenterons d’ici la fin de l’année un rapport important, celui de la responsabilité sociétale des entreprises. Il comporte deux volets : la responsabilité sociale vis-à-vis des salariés dans une île qui a les plus bas salaires de France et le plus haut niveau de précarité ; la responsabilité environnementale pour laquelle nos aides seront conditionnées au respect d’un certain nombre de fondamentaux comme la réduction de la pollution. Le bilan carbone de la Corse n’a rien d’exceptionnel, on brûle du fioul pour produire notre électricité, les touristes viennent par avion et par bateau et on est totalement dépendant de tout ce que nous importons d’ailleurs. La transition écologique, c’est aussi rendre la Corse moins dépendante.
- Tout un chacun s’accorde à dire que la fiscalité de la Corse est inadaptée. La reprise des négociations avec l’État permettra une évolution favorable ?
Notre fiscalité aujourd’hui est celle d’une réserve d’indiens puisque nos avantages fiscaux concernent pour l’essentiel le tabac et l’alcool. Il ne manque plus que les casinos pour compléter le tableau ! L’objectif est d’avoir une fiscalité adaptée à notre volonté de réduction de la dépendance de la Corse. Une fiscalité qui, par exemple, puisse faire en sorte que l’impôt sur les sociétés de production soit plus bas qu’ailleurs ou que nos ressources soient abondées par une taxe carbone liée aux importations. Une bonne fiscalité est une fiscalité qui renforce la production locale. C’est aussi le sens de nos discussions avec l’État.