La Lettre | Tourisme : technologie du metaverse, voyage dans le futur

La Lettre | Tourisme : technologie du metaverse, voyage dans le futur

Un auditoire de professionnels a suivi l’atelier-conférence organisé par notre chambre à Borgo sur l’intelligence artificielle appliquée aux activités du secteur. Un succès qui n’avait rien de virtuel.

Il est possible aujourd’hui de goûter aux sensations de l’apesanteur à bord de la station spatiale internationale à 400 km au-dessus de son canapé, de se retrouver en Arizona, au pied du Grand Canyon, de se baisser pour saisir une pierre de grès ocre et la jeter dans le fleuve Colorado ou bien encore de remonter le temps jusqu’à l’Antiquité, de s’asseoir en tailleur sur les dalles tièdes du Parthénon et d’écouter une harangue de Platon. L’avènement du Web 3.0 et de son ambassadeur le plus étonnant baptisé « métarverse » permet de créer son avatar, d’aller au bout du monde sans bouger, d’échanger avec de vraies personnes dans un lieu que l’on s’approprie en trois dimensions. En une formule laconique, on peut dire « s’évader du réel pour aller dans le réel ». 

Il suffit de chausser un casque virtuel mais ça fonctionne aussi avec une tablette ou le smartphone. Les applications sont infinies et aucun domaine d’activités ne peut s’affranchir de ce type de technologie qui, selon un récent sondage, suscite des réticences auprès de 55 % des personnes toutes générations confondues. Mais plus d’une entreprise sur deux se déclare prête à investir dans l’intelligence artificielle qui, doucement mais sûrement, révolutionne nos vies, nos habitudes, notre rapport à l’autre. Le métaverse appliqué au tourisme est un sujet d’avenir et donc d’actualité pour l’économie de la Corse. Il offre des expériences immersives comme celles d’arpenter le Pont Charles de Prague, d’embrasser des yeux le plafond de la chapelle Sixtine ou de crapahuter sur le GR20 jusqu’à la Brèche du Capitello tout en bavardant avec son guide. 

Dans son rôle de veilleur technologique, la CCI de Corse a organisé une conférence sur le sujet au campus de Borgo qui a reçu un bel écho auprès des professionnels, essentiellement des hôteliers et des directions d’offices de tourisme. L’auditoire a vite été happé par les paroles d’un observateur éclairé du e-tourisme, Denis Genevois, administrateur de l’Association de l’Innovation touristique, un organisme international qui réunit les pays de la francophonie. Au terme de son exposé passionnant et didactique, il a répondu aux questions sur les avantages, les inconvénients, la question financière, l’acquisition des compétences, la vulgarisation des outils, etc. 

Certes, cet atelier avait un parfum onirique de science-fiction et le spécialiste l’assure : « Le métaverse ne peut pas complètement remplacer l’expérience réelle du voyage. » Au final, de l’intelligence artificielle, le tourisme corse doit promouvoir l’intelligence au détriment de l’artificiel. 

 

Interview de Denis Genevois, expert en innovation touristique

“Un progrès mais pas l’Eldorado” 

  • En quoi l’intelligence artificielle vient-elle bouleverser le tourisme, une activité qui remonte à la Nuit des temps ? 

Elle crée un changement de paradigme qui bouleverse surtout les acteurs institutionnels, offices de tourisme, syndicats d’initiatives, etc., au niveau de l’information première qu’un touriste est en droit d’attendre. Les moteurs de recherches constituaient déjà une forme d’intelligence artificielle dans la préparation d’un voyage mais là, on a en plus la mise en relation des socioprofessionnels entre eux. Cette dimension interactive faisait défaut. 

  • Pour les professionnels, la visite virtuelle des chambres ou du menu du restaurant, c’est un atout supplémentaire ? 

Votre question suggère la confusion persistante entre le métaverse et la réalité virtuelle. Il n’y a pas d’intelligence artificielle derrière la visite d’une chambre d’hôtel à 360 degrés, juste une modélisation d’un environnement pour se faire une idée comme le faisaient les photos par le passé. Le métaverse ou plutôt les métaverses – car il existe une multitude d’univers virtuels – dans lesquels on se projette, offrent la capacité d’échanger en communauté de façon interactive, de prendre possession du lieu. On passe du statut de spectateur à celui d’acteur. Si on visite un hôtel, on a en face de soi le réceptionniste en chair et en os auquel on peut directement réserver et poser de vraies questions. 

  • Mais créer son avatar et se retrouver à Abu Simbel ou au sommet de l’Empire State Building, ce n’est pas contreproductif pour le tourisme ? 

Poser la question, c’est y répondre. Effectivement, c’est contreproductif de suivre un guide à l’autre bout du monde depuis son salon. Malgré tout, l’immersion n’est pas encore identique à la vraie expérience. Oui, je suis à Abu Simbel, j’ai bien la sensation du gigantisme et du caractère sacré du lieu, mais je n’ai ni les odeurs, ni la perception de l’ambiance, de la chaleur ou du vent, ni la possibilité de goûter la cuisine locale après la visite. Des désirs à ce jour irremplaçables. A contrario, le virtuel peut proposer des expériences impossibles dans la vraie vie. Par exemple, pénétrer dans les couloirs et les chambres secrètes de la pyramide de Khéops. Et ça, ça m’intéresse… 

  • Instruire sur un concept zéro carbone, doit faire de vous la coqueluche des écolos et le cauchemar des éditeurs de guides touristiques… 

Détrompez-vous ! Tous ces univers virtuels nécessitent des infrastructures informatiques qui génèrent de la pollution de manière beaucoup moins impactante, c’est vrai, sauf si ça se propage à grande échelle… 

  • Que peut apporter de positif le métaverse pour la Corse où l’activité touristique représente 40 % du PIB ? 

Cela dépendra de la capacité des acteurs, hôteliers, guides, conservateurs de musée, à oser imaginer, avec de bons prestataires, des solutions innovantes qui sollicitent à la fois de l’intelligence artificielle, de la réalité virtuelle à haute valeur ajoutée, tout en étant conscient que la présence de l’humain est incontournable. C’est un progrès, mais ce n’est pas l’Eldorado. 

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°31 (avril 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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