La Lettre | Transport de marchandises : Ils ne roulent pas sur l’or

La Lettre | Transport de marchandises : Ils ne roulent pas sur l’or

Les transporteurs routiers de Corse n’échappent pas au climat récessif. Le secteur souffre aussi de handicaps structurels. José Benzoni, élu consulaire, syndicaliste et patron d’une société de transport de fret, en parle en toute connaissance de cause.

La Corse souffre-t-elle du mal des transports ? Non, puisque les flux de marchandises sont consubstantiels d’une île, sinon elle finit par mourir d’inanition. Paradoxalement, plusieurs facteurs liés à l’insularité trahissent une iniquité entre les transporteurs routiers corses et leurs collègues continentaux. Un déséquilibre structurel qui s’accentue quand la conjoncture économique n’est pas au beau fixe. En tout cas, la question mérite d’être posée. José Benzoni a le profil idéal pour y répondre. Élu consulaire, porte-parole du Syndicat des Transporteurs de la Corse (présidé par Jean-Marie Maurizi), membre du Collectif des organismes professionnels et consulaires, ce chef d’entreprise bastiais de 53 ans est à la tête de la holding Districo (quatre magasins U et une société de transport). Sous l’égide du Syndicat des Transporteurs, il avait diligenté en 2021, auprès du cabinet Gecodia, une enquête sur les performances et les handicaps du transport routier de fret en Corse. José Benzoni, comptable de formation et titulaire d’une licence de transport, sait de quoi il parle.

UNE ACTIVITÉ QUI MARQUE LE PAS

Sa société créée en 2003, Coccitrans, spécialisée dans le transport des marchandises frigorifiques (frais, ultrafrais et surgelés) a son centre logistique à Biguglia*. Elle n’assure la livraison de marchandises que pour les 35 magasins du Système U disséminés dans toute la Corse. « Comme nos amis du secteur touristique, nous enregistrons une baisse d’activités, en volume de fret transporté, de l’ordre de 8 %. Le chiffre d’affaires aussi est en recul de 4 à 5 %. La fréquentation dans les magasins est stable mais le panier a diminué en raison de l’effet conjugué de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat. Le coût du fret au mètre linéaire a certes augmenté, mais il est sans impact. »

En revanche, José Benzoni explique que l’acquisition de matériel roulant (plus âgé en Corse qu’ailleurs) exige davantage d’investissements (environ 30% pour un tracteur et une remorque frigorifique) et à un rythme plus soutenu en raison de l’usure accélérée imputable aux passages maritimes. « La profession subit aussi une hausse conséquente du gazole** alors que, parallèlement, le taux de réversion par les douanes de la TICPE (la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ndlr) est le plus faible de France. »

UN CRÉDIT D’IMPÔT REVENDIQUÉ

Ce n’est pas le seul facteur de disparité. Toujours au niveau des équipements, les transporteurs corses doivent avoir un parc roulant au moins deux fois plus important. « Un suréquipement qui s’explique par la durée de la traversée maritime qui immobilise la remorque de chaque côté pendant douze heures. Ici, pour 100 chauffeurs, il faut 200 cartes grises ! »

Sans même parler du surcoût salarial horaire généré par les attentes dans les ports…

Ce n’est pas tout. Depuis 2015, les transporteurs corses ne sont plus exonérés de la taxe annuelle à l’essieu destinée à entretenir routes et autoroutes. « On la paie désormais au même titre que les transporteurs du Continent et c’est d’autant plus injuste que la moitié du trafic de nos poids lourds s’effectue en Corse, un réseau que l’on peut qualifier, avec un soupçon d’euphémisme, d’obsolète. » Pour établir l’équité avec le Continent, les transporteurs routiers de marchandises de la Corse réclament depuis plusieurs années l’instauration d’un crédit d’impôt sur l’investissement. Compte-tenu du caractère incompressible des mouvements de fret et du besoin d’investir de manière significative à moyen terme, le scénario, sans ce soutien, pourrait être celui du renforcement des grandes sociétés au détriment des petites et une hausse des tarifs qui se répercuterait sur le consommateur. « Un crédit d’impôt fixé à 20 % permettrait, selon les conclusions de notre étude, de pérenniser nos activités et de se prémunir contre la disparition de 120 emplois. » José Benzoni pense par ailleurs que la mesure est susceptible d’inciter des concessionnaires de poids lourds à s’installer et à venir… rouler leurs mécaniques en Corse.

*14 salariés et un parc roulant de 18 remorques, 14 tracteurs et 4 véhicules légers qui traversent la mer 2 600 fois par an.

**En Corse, le coût de la consommation de gazole calculé sur 100 km est, par rapport au Continent, de 57 % supérieur pour un tracteur et de 33 % pour un camion.

Repères

La Corse recense plus de 200 entreprises actives dans le domaine du transport routier de marchandises, représentant un parc roulant de quelque 1 200 unités. Plus de la moitié dispose d’une licence communautaire pour les voyages maritimes (2,3 millions de tonnes par an). Depuis 2005, le nombre de sociétés, majoritairement de petite taille, recule. Les grandes structures ne sont pas pour autant en position dominante dans un environnement concurrentiel élevé. 

Le chiffre d’affaires global (de l’ordre de 240 millions en 2019) croît mais la croissance est inférieure à celle du Continent. La mutation écologique génère un besoin d’investir en matériels roulants lourds estimé à 24 millions par an.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°35 (septembre  2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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