La Lettre | Portrait : François Lenglet, Corse d’adoption
L’éditorialiste économique le plus populaire de la télévision a sa maison familiale à Bastia où il vient régulièrement avec son épouse originaire de Balagne. Son regard sur l’économie insulaire est détaché mais plutôt perspicace…
Il faut un peu de folie pour bâtir un destin. En se retournant un moment sur un itinéraire professionnel amorcé il y a tout juste quarante ans, François Lenglet aurait toutes les peines du monde à contredire Marguerite Yourcenar. Pour que le jeune et fringant étudiant en philosophie et… en chinois, originaire du Nord, se soit métamorphosé en éditorialiste économique vedette des plateaux de télévision, le brin d’audace et de loufoquerie dans ses choix était nécessaire. Un destin ce n’est pas non plus un lieu, des racines ou encore une généalogie, c’est avant tout une manière de regarder la vie et les choses autrement. C’est dans le droit fil de la pensée de l’académicienne, autrice des « Mémoires d’Adrien »…La référence littéraire n’est pas fortuite. Originaire de Wimereux, une élégante bourgade balnéaire style Belle Époque de la mer du Nord, François Lenglet était plutôt destiné à suivre les traces de sa mère, professeure de français et de latin, que celles de son père, cadre supérieur dans l’industrie chimique. Mais le chemin qui le mène à la maîtrise de Lettres modernes obtenue à la Sorbonne, il s’en écarte d’un bond de géant pour aller en Chine – dont il a fait l’apprentissage de la langue – dans le cadre de ses obligations militaires et de la coopération du service national à l’étranger. On est alors au milieu des années 80.
« L’ÉCONOMIE EST ARRIVÉE DANS MA VIE PAR HASARD »
La République populaire a perdu son Grand Timonier mais son héritage guide les esprits et le pouvoir, même si le pays du Milieu s’ouvre doucement sur les côtés, au monde. « J’ai vécu dans une Chine qui n’existe plus. J’habitais à Shangaï et, à l’époque, on pouvait marcher des heures entières sans croiser un seul Occidental. Nous étions une poignée de Français délayée dans le bain fourmillant d’une mégapole de douze millions d’habitants. Aucune université ne s’émancipait de l’exégèse des textes de Mao. Pour ma part, j’enseignais la philosophie et la littérature dans une institution francophone fondée par les Jésuites en 1901. Le journalisme et l’économie ont fait une intrusion dans ma vie par hasard. Les correspondants de journaux français ne couraient pas les rues et j’ai été rapidement sollicité. Ce statut inattendu de pigiste m’a fait voyager dans toute l’Asie, la Thaïlande, le Cambodge et même la Corée où le journal L’Express m’avait envoyé pour couvrir, au printemps 1987, les soulèvements populaires contre la dictature militaire de Chun Doo-Hwan. »
De retour en France, trouver une salle de rédaction ne relève pas du casse-tête chinois. François Lenglet est recruté par le vénérable magazine Science & Vie Économie. C’est la rampe de lancement d’un parcours balisé par de prestigieuses éditions nationales et de chaînes de télévision qui vont renforcer son ancrage dans le paysage médiatique au fil des années et des chroniques. Sa célébrité suit une courbe de croissance ascendante : en 2014, deux ans après une interview mémorable de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, un sondage le hisse au premier rang des personnalités économiques préférées des Français. Sa modestie naturelle aidant, il estime que sa calvitie n’est pas tout à fait étrangère à sa « surprenante » cote de popularité. En réalité, le crédit dont il jouit vient de sa façon didactique de rendre simples des choses compliquées : « Je suis un littéraire de formation, pas un économiste, encore moins un expert financier. Ce qui pouvait paraître au départ comme un handicap est devenu un atout. Quand je fais une analyse, je me mets à la place des gens qui m’écoutent… ». Si nous cédions à la caricature, on rangerait ses chroniques économiques sous le titre générique de Lenglet pour les nuls…
« LA CORSE TIRE TOUJOURS SON ÉPINGLE DU JEU »
Le destin, encore lui, lui réserve la rencontre romantique de sa vie, Sabine Argenti, originaire de Belgodère, directrice de la communication à la Fondation de France. Le couple capitalise sur ses attaches affectives avec la Corse où il vit une partie de l’année sur les hauteurs de Bastia. D’ailleurs, notre entretien pour la présente Lettre dans un café de Cardo est régulièrement interrompu par des habitants qui viennent prendre des nouvelles de la famille. Ceci étant, François Lenglet l’admet volontiers : il s’intéresse de près à l’actualité de l’île et à ses données économiques mais il se garde de toute analyse approfondie sur le sujet. La valeur d’une statistique n’étaiera jamais un jugement de valeur.
« J’ai compris que la Corse souhaitait bâtir un nouveau modèle économique qui épouse les enjeux sociaux et environnementaux du siècle. Elle a été préservée de la vague industrielle, ce qui lui donne toutes les chances de réussir sa mutation. Elle peut, je crois, jouer essentiellement sur deux tableaux : le tourisme durable et respectueux de la nature, susceptible de mettre en valeur ses richesses humaines, culturelles et patrimoniales sans plus les abimer, et l’énergie grâce à ses immenses ressources naturelles. Son sens inné de la créativité contribuera à préserver sa vocation de pionnière dans bien des domaines. Grâce à son identité, à son histoire, à sa fierté, la Corse a de tout temps su tirer son épingle du jeu. Elle restera toujours attractive pour sa qualité de vie. Forcément, l’économie peut intelligemment y prospérer, surtout si elle acquiert le statut institutionnel dont bénéficient toutes les îles de Méditerranée… »
François Lenglet en reste là sur le terrain politique, mais il laisse percer sa confiance sur le processus engagé avec une République encline à lâcher du lest sans endommager sa cohésion. Un peu comme l’économie a infiltré la vie d’un littéraire pour la rendre plus féconde. Après tout, comme le dit un proverbe chinois, la porte la mieux fermée est celle qu’on peut laisser ouverte.
ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°37 (novembre 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE
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