La Lettre | Portrait : Hélène Davo, le “droit” chemin

La Lettre | Portrait : Hélène Davo, le “droit” chemin

La nouvelle Première présidente près la Cour d’appel de Bastia estime qu’une bonne justice se soucie de l’environnement où elle est rendue. D’où son intérêt pour l’économie de la Corse…

Une vie, c’est un peu comme une maison, elle se construit sur les fondations de son héritage familial et culturel. La sève qui irrigue l’arbre généalogique d’Hélène Davo, Première présidente près la Cour d’appel de Bastia, a nourri sa personnalité, ses idéaux, son parcours. Ce qui la définit comme femme et comme magistrate, c’est l’histoire de ses grands-parents, républicains espagnols qui, en 1939, ont fui la dictature franquiste. « Ils ont franchi la frontière pyrénéenne à pied, avec mon père, alors âgé de 9 ans, et ont rejoint le camp d’Argelès-sur-Mer où étaient regroupés les réfugiés de la Guerre civile. En m’appropriant leur exil et leurs souffrances, je me suis laissée naturellement guider par les valeurs humaines transmises par eux et par mes parents au premier rang desquelles la justice. Or, être juge, c’est réparer des injustices. »

Le hasard de la vie l’a fait naître à Soyaux, en Charente, et le désir de servir son pays a été porté par la conscience d’être à la fois le produit d’un sang espagnol vecteur de liberté et de l’école républicaine française vectrice de justice.

« POUR MOI, IL N’Y A QUE LES GENS QUI COMPTENT »

L’État mais pas l’ENA, dit-elle. Ses diplômes en poche (Sciences Po, droit international et un stage Erasmus… à Bilbao), elle choisit la Justice où elle réalise un itinéraire ascensionnel qui part du modeste prétoire de Meaux en Ile-de-France pour se hisser jusqu’à l’Élysée, conseillère d’Emmanuel Macron. « En quelque sorte, ici, la boucle est bouclée. La provinciale que je suis, avec son ADN méditerranéenne, éprouve déjà des affinités instinctives avec la Corse qui a beaucoup en commun avec la terre de mes ancêtres, la chaleur des gens, les rituels, les fêtes votives, un mélange harmonieux de respect de la tradition et de foi en l’avenir. En tant que mère de quatre enfants, c’est un bonheur de vivre dans un environnement que je découvre et apprécie jour après jour… ». Son premier souhait est de voir la Corse dotée de tous les moyens d’exercer sa mission de justice en toute indépendance. « Je ferai tout pour que les jugements soient rendus avec apaisement et célérité. Je veux écouter pour mieux comprendre et, je l’espère, pour mieux se faire entendre. Le dialogue, ce sera mon maître-mot. » Ces paroles, elle les a prononcées lors de son discours d’installation. Cérémonie au cours de laquelle elle a pris l’engagement de faire rayonner la Cour à l’extérieur, particulièrement auprès des jeunes, à l’université notamment. Mais aussi de mettre en place, en accord avec le Procureur général, ce qui existe ailleurs, un Conseil régional de politique judiciaire qui réunit la famille judiciaire, magistrats, avocats, présidents des tribunaux de commerce et des Conseils des prud’hommes mais aussi des élus et des citoyens qui feront remonter les attentes du terrain, de la population. « Je veux mettre le justiciable au coeur du réacteur, en particulier les plus démunis et les plus éloignés de la justice. Pour moi, il n’y a que les gens qui comptent. » Ce souci profond de l’humain a, à l’évidence, une dimension atavique…

UNE RENCONTRE « UTILE » AVEC JEAN DOMINICI

La justice ne se rend pas dans une tour d’ivoire mais sur un territoire avec ses forces et ses fragilités, ses valeurs et ses égarements, son histoire, ses évolutions politiques, sociales et économiques. Le dire à Hélène Davo, c’est prêcher une convaincue. Aussi, a-t-elle tenu à s’entretenir avec le président de la CCI de Corse : « La justice et la Corse, que je considère déjà comme mon île d’adoption, doivent se retrouver pour résoudre ensemble les problèmes de tous ordres qui la minent. Un magistrat ne juge pas entre les seuls murs d’un prétoire, il juge dans un écosystème sans la connaissance duquel il ne prendrait pas les bonnes décisions. C’est la raison pour laquelle j’échange beaucoup pour être mieux éclairée sur tout ce qui fait la vie de cette île. Je considère que se désintéresser de son tissu économique serait une erreur. En cela, ma rencontre avec M. Jean Dominici a été très utile. »

Lorsqu’elle n’est pas au Palais, Hélène Davo a de quoi occuper son temps libre, la famille, bien sûr, la musique baroque – la flûte traversière lui a valu de sortir diplômée du Conservatoire d’Angoulême – les voyages avec une prédilection pour l’Espagne de ses racines (elle est Grande Croix d’Isabel la Catholique) et les livres. Hélène Davo est une grande lectrice de Marcel Proust. « Le vrai voyage, ce n’est pas de chercher des nouveaux paysages mais un nouveau regard », une citation de l’écrivain qui fait écho à sa nomination en Corse.

Repères

1970 : naissance à Soyaux, près d’Angoulême (Charente)

1994 : diplômée de Sciences Po, maîtrise de droit international et communautaire, intègre l’École nationale de la Magistrature

1997 : juge au TGI de Meaux

2000 : gère les contentieux de la Cour européenne des Droits de l’Homme au ministère de la Justice

2001 : nommée au Haut-commissariat des Droits de l’Homme des Nations à Bogota (Colombie)

2003 : juge d’instruction au TGI de Paris

2012 : magistrate de liaison à l’ambassade de France à Madrid en charge de la coopération en matière de criminalité organisée et de terrorisme

2016 : préside la 16e chambre (chambre anti-terroriste) du TGI de Paris

2017 : directrice adjointe du cabinet de Nicole Belloubet, Garde des Sceaux

2019 : conseillère justice auprès d’Emmanuel Macron

2022 : nommée Première présidente près la Cour d’appel de Bastia.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°26 (novembre 2022) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

Lire La Lettre