La Lettre | Entretien avec Julien Paolini, Président de l’AUE

La Lettre | Entretien avec Julien Paolini, Président de l’AUE

« L’avenir, c’est la conversion du bâtiment »

Maire de Pietroso et enseignant à l’Université de Corse, Julien Paolini préside l’Agence d’aménagement durable, d’urbanisme et d’énergie de la Corse. L’autonomie énergétique est son horizon…

  •  Avec la CCI de Corse pour partenaire, vous déployez le programme « Seize Corsica ». Vous avez de bons retours ?

L’objectif de cette action lancée en octobre 2021 est de sensibiliser à la fois les institutions, les services publics et les entreprises, commerçants et artisans, à la maîtrise de la demande en énergie et à la réduction de la dépense. Cela passe par une série de rencontres et par l’installation de capteurs de mesure et de suivi de la consommation afin de proposer les outils les plus adaptés à l’économie de l’énergie pour les postes de travail les plus énergivores. La CCI apporte son précieux concours et les retours sont en effet satisfaisants.

  • Satisfaisants jusqu’à avoir atteint les 1 350 entreprises et collectivités fin 2022, l’objectif que vous vous étiez assigné ?

Je n’ai pas le pointage précis mais nous étions sur la bonne voie. Ce programme est appelé à se poursuivre dans la durée. Il a fait la preuve de son utilité, notamment dans le cadre de la PPE, la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui est en cours de révision et doit nous permettre de rendre la Corse énergétiquement autonome à l’horizon 2050. Nous avons différents paliers à franchir, de quatre ans chacun. La maîtrise de la demande en constitue une des pierres angulaires et le projet « Seize Corsica », labellisé par l’organisme de transition écologique Éco CO2, colle parfaitement à cette exigence.

  • Le prix de l’énergie flambe. Vous ne craignez pas malgré tout que des artisans, des commerçants et des chefs d’entreprises soient en péril ?

Le bouclier tarifaire évolutif et les derniers arbitrages mis en oeuvre par l’État amortissent le choc. À côté de ces mesures conjoncturelles, la Collectivité de Corse s’attèle à apporter des réponses plus structurelles sur le long terme, notamment dans le cadre d’appels à projets pour inciter à la rénovation des bâtiments – certains dédiés aux entreprises pour leurs locaux commerciaux ou industriels – et pour avoir accès à des énergies moins polluantes et moins consommatrices, je pense par exemple aux chauffe-eaux solaires ou encore aux chaudières bois-énergie.

  • Justement, le bois, l’eau, le soleil et le vent, la Corse en a en abondance. Comment ne réussiton plus efficacement à en faire des sources d’énergie pour nous mener à l’autonomie ?

La réalité, c’est que nous avons considérablement progressé dans le secteur des énergies renouvelables. Aujourd’hui, le mix énergétique de la Corse, c’est un tiers les centrales thermiques du Vazzio et de Lucciana, un tiers les câbles qui nous relient à l’Italie et un tiers d’EnR, hydraulique pour une grande part et photovoltaïque. Certaines filières comme l’éolien et la petite hydroélectricité ont plus de mal, le potentiel est là mais les soucis environnementaux aussi. Le bois est très prometteur pour la production de chauffage voire d’électricité mais les signaux en termes de tarifs de rachat ne sont pas encourageants. Le projet de révision de la PPE, bientôt examiné par l’Assemblée de Corse, dégagera des objectifs de EnR très ambitieux pour la période 2024-2028.

  • La Corse doit-elle renoncer définitivement au gaz naturel pour faire fonctionner ses deux grandes centrales thermiques ?

Sur le chemin de l’autonomie énergétique, le gaz naturel était l’énergie de transition par excellence car il réduisait les émissions polluantes de manière drastique par rapport au fuel. Je ne vais pas revenir sur les rebondissements et procédures infructueuses du dossier. La raréfaction de cette ressource fossile et la crise en Ukraine rendent cette solution obsolète.Le biocarburant pourrait être une alternative mais sous certaines conditions pour garantir la qualité de l’air et la santé publique. Il s’agit aussi de reventiler l’enveloppe de 4 à 500 millions d’euros prévue pour l’acheminement du gaz naturel en Corse sur des politiques de réduction des consommations d’énergie y compris pour le monde de l’entreprise. Tout un secteur de l’économie pourrait ainsi se spécialiser dans la rénovation et la conversion énergétique des établissements scolaires et plus généralement des bâtiments existants, qu’ils soient publics et privés. Je pense bien sûr au BTP pour lequel le marché potentiel est gigantesque.

  • Et vous pensez que le BTP a les moyens de s’adapter ?

Je pense qu’il y a un gros travail à consentir en 2023 pour sensibiliser les acteurs du bâtiment à s’orienter davantage vers la rénovation énergétique que vers les résidences secondaires. Si, à la clé, on annonce un investissement public de 2 à 300 millions d’euros dans les 5 prochaines années, on peut susciter l’avènement d’un écosystème de formation, d’ingénierie et de labellisation dans le BTP.

  • L’électrification des quais de Bastia et Ajaccio est-elle toujours d’actualité ?

Plus que jamais ! On connaît le niveau d’émissions des navires à quai quels qu’ils soient, de croisière, privés ou de service public. Des avancées sont espérées en 2023 en mobilisant des fonds européens et nationaux et imaginer des recettes générées par ce dispositif. L’électrification des quais doit être l’occasion de mettre en oeuvre des solutions innovantes qui feraient raisonnablement appel à un mix hydrogène vert, photovoltaïque, hydroélectricité.

  • Le Padduc va être révisé. Quelle peut être la place de l’économie dans un aménagement du territoire aussi contraint ?

Le Padduc avait vocation à être un projet de société qui traite de toutes les politiques publiques, culture, tourisme, économie par pans entiers, mais il a été réduit à des questions trop souvent conflictuelles d’urbanisme et d’espaces stratégiques agricoles. Une nouvelle architecture cohérente doit se concevoir entre le Padduc et le Schéma régional de développement et d’innovation qui est venu après. Il faut revenir aux fondamentaux du document, notamment concrétiser un équilibre de développement entre le littoral et la montagne. La volonté politique existe, les pistes de réflexion aussi dont la moindre n’est pas celle des énergies renouvelables.

  • L’AUE a-t-elle son mot à dire dans le transfert des chambres consulaires vers la Collectivité de Corse ?

Non, l’Agence n’est qu’un opérateur de la Collectivité de Corse. Mais je suis favorable à une intégration qui m’apparaît comme une perspective qui mettra en synergie l’ensemble des forces vives du territoire. Ici, nous avons tendance à privilégier le travail en silos à la transversalité, et ce transfert des chambres consulaires, intrinsèquement performantes, est de nature à renverser la vapeur en faveur de cette cohérence qui nous fait parfois défaut.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°28 (janvier 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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