La Lettre | Portrait : Capitaine au long cours…

La Lettre | Portrait : Capitaine au long cours…

Gilles Cioni, ancien capitaine du Sporting-club de Bastia, est devenu par son engagement, sa combativité et sa loyauté, un modèle pour les jeunes générations. Des qualités qui le marquent à la culotte encore aujourd’hui en tant que chef d’entreprise et élu de la chambre…

Chaque génération s’inscrit dans la bulle de son histoire. Dans une société où l’immédiat est la seule durée possible, où la projection dans l’avenir passe par les fourches caudines de l’imprévision, les figures qui s’imposent sont des météores médiatiques, des pseudo-modèles pour qui la réussite relève beaucoup moins du talent que de l’opportunité illusoire. Gilles Cioni les prend tous à contre-pied. Il a construit sa notoriété, patiemment, saison après saison, à la force du jarret – c’est le cas de le dire – sur un terrain du football, au sein d’un club mythique dont il a été un digne fils. C’est le genre d’homme que l’on aimerait tous avoir pour ami. Il est généreux, fidèle, loyal, c’est un bon père de famille, un garçon sensible et d’une franchise à toute épreuve. Le jeune retraité de 39 ans a parfaitement préparé sa reconversion à la fois dans le football, l’essence même de son existence, et dans l’entreprise familiale dont il porte le licol de la troisième génération, la Conserverie de Casatorra, située à Biguglia, la plus ancienne conserverie de Corse, qui fête cette année ses cinquante ans…

UNE RÉFÉRENCE POUR LES JEUNES

Gilles Cioni est entré dans la vie balle au pied. Il a porté le maillot du Sporting pendant 25 ans, de la catégorie poussins à l’équipe première de Ligue 1. Les deux tiers de sa vie auxquels s’ajoute un court intermède au Paris Football Club. Il est un des rares joueurs professionnels, sinon le seul, à avoir gravi un à un tous les paliers de la « Pyramide football », de la division d’honneur à l’élite. Si pour lui la passion avait une couleur, ce serait évidemment le bleu. Mais les grandes passions sont aussi celles qui exposent aux plus grands sacrifices. Au printemps 2017, lorsque le club est précipité dans un abysse aussi profond que son trou financier, perdant sa crédibilité et son honneur en même temps que son statut professionnel, Gilles Cioni, contrairement à beaucoup de ses camarades, ne cède pas aux sirènes des clubs du continent. Il fait contre mauvaise fortune bon coeur, accepte de retomber au plus bas de l’échelle, en National 3, chez les amateurs, au sein d’une structure moribonde, sans dirigeant, sans effectif, sans centre de formation, mais repu de dettes et d’humiliation. S’engageant dans un tunnel dont on ne voit pas le bout, il apporte sa pierre à un édifice en ruines, à reconstruire. En bon capitaine, il tient la barre et redirige le club sur le bon cap. À lui seul, Gilles incarne le retour à la lumière, la reconquête du statut professionnel, la réapparition inespérée aux portes de l’élite. C’est connu : les plus belles histoires d’amour ont une fin, une chute, en l’occurrence une mauvaise chute, car même les plus solides défenseurs ont un talon d’Achille. Le sien s’est brutalement rompu sur le terrain. La blessure de trop. Gilles a la sagesse de ranger définitivement ses crampons, mais « avec le sentiment du devoir accompli, dit-il d’une voix émue. Rester dans des conditions aussi dantesques était un pari fou, mais je ne pouvais pas abandonner le navire et je refusais de voir s’envoler la dernière parcelle de rêve qu’il restait aux derniers jeunes du club. Aujourd’hui, je leur souhaite de tout coeur de vivre ne serait-ce qu’un dixième des émotions que j’ai vécues… » Pour ces jeunes qui ont grandi à ses côtés, physiquement et mentalement, Gilles Cioni est à jamais une référence. Du Sporting-club de Bastia, c’est un peu comme s’il avait porté la flamme olympique pour qu’elle ne s’éteigne pas au moment où des vents contraires puissants soufflaient dessus. Comme lui, elle a tenu bon.

UNE DOUBLE RECONVERSION

Gilles Cioni est un jeune et dynamique élu de la CCI de Corse, membre de la commission de l’industrie agroalimentaire. Comme sur le terrain, il ne fait pas de la figuration. Il assiste à toutes les réunions, ne dribble aucune assemblée générale, et se sent pleinement concerné par l’action consulaire. Avec son frère Marc, il a repris la gestion de la Conserverie de Casatorra, créée en 1973 par deux belles personnalités, Dumè Cardi, son grand-père, et Lisa Sanci qui a joué un rôle prépondérant dans la vie et la progression de notre institution. À sa fondation, le produit phare de l’entreprise était la soupe de poisson, une recette mijotée par Rosette, sa grand-mère. Au fil des années et de la confiance indéfectible des consommateurs, la maison, qui a su « conserver » l’esprit de famille, a étendu sa notoriété grâce à d’autres plats traditionnels, toujours issus des fourneaux de Rosette : le sauté de veau aux olives, les lentilles à la panzetta, les raviolis au brocciu, la sauce aux tomates du jardin, les tripettes à la bastiaise…

Une production nustrale d’excellence susceptible, il faut bien l’admettre, d’épouvanter le plus complaisant des diététiciens d’un club professionnel de football… En reprenant le flambeau, Gilles se montre fidèle aux siens, à ce qu’ils ont bâti, à leurs valeurs. Mais le ballon lui colle toujours au pied et, c’est tout naturellement qu’il a entrepris de se reconvertir parallèlement dans le football. Titulaire d’une licence d’Histoire, il reprend le chemin des études à l’Université de Limoges et s’inscrit dans la filière qui conduit au diplôme de Manager général, celle du droit et de l’économie du sport. Le but est aujourd’hui atteint et, depuis quelques jours, il a rejoint la cellule de recrutement des Bleus. « Si le SCB a pu renaître de ses cendres, on le doit aussi à sa loyauté, explique le président Claude Ferrandi. Gilles, je le connais depuis longtemps. C’est un garçon solide, fiable, facile à vivre, attentif aux autres et d’une grande humilité. Son attitude après le crash démontre qu’il est habité par le club au service duquel il met aujourd’hui sa passion, son expérience du terrain et sa connaissance des hommes et du vestiaire… » Côté cour, il gère sept salariés pour une production annuelle de quelque 180 tonnes de sensations gustatives. Côté jardin, il contribue à bâtir un collectif professionnel, au moins trois plus étoffé en nombre, qui doit produire du rêve. Le rêve d’accession. 

Ainsi, même sans brassard, Gilles Cioni reste un capitaine dans l’âme. Un capitaine d’industrie ou presque, car la conserverie comme le Sporting, c’est avant tout une histoire de famille. La grande famille de la CCI de Corse est fière, elle-même, de le compter dans ses rangs.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°34 (juillet-août 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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