La Lettre | Emmanuel Macron en Corse – Gilles Simeoni : “Nous allons réussir”

La Lettre | Emmanuel Macron en Corse – Gilles Simeoni : “Nous allons réussir”

Le président du Conseil exécutif de Corse est confiant sur le projet de société à définir et à mettre en oeuvre collectivement. Dans son esprit, aucun doute pour lui aussi : économie et autonomie vont de pair.

  • Le Président a peu parlé d’économie mais il a annoncé un nouveau PTIC, de nouvelle génération. Qu’en attendez-vous ?

Économie et autonomie vont de pair. Pas d’autonomie sans pouvoir législatif mais pas d’autonomie non plus sans autonomie fiscale. Dans le statut d’autonomie qui a vocation à être évolutif, il faut à la fois un transfert de compétence fiscale, c’est-à-dire la faculté reconnue à la Collectivité de Corse de lever l’impôt, la territorialisation d’un certain nombre d’impôts qui relèvent de l’État, la possibilité de fixer des taux additionnels, pour la fiscalité écologique par exemple, et enfin des subventions de type PTIC et de l’Union européenne qui aideront à parfaire l’équation budgétaire avec une modélisation et des garanties, notamment dans des domaines aussi essentiels que les retraites et la sécurité sociale. Il faut donner aux Corses l’assurance de ce que l’autonomie que nous allons mettre en oeuvre sera une autonomie viable, y compris d’un point de vue des droits essentiels, de la dynamique économique et sociale, et des grands équilibres budgétaires. Nulle part en Méditerranée, l’autonomie ne s’est construite en un jour. Développement économique et justice sociale sont des enjeux majeurs, indissociables de l’autonomie : c’est bien un projet de société global que nous sommes collectivement appelés à définir et mettre en oeuvre.

  • Alors, selon votre lecture, pouvoir normatif ou pouvoir législatif ?

Le terme de pouvoir législatif n’a pas été prononcé comme d’ailleurs le terme « peuple corse ». Je le regrette. Je l’avais dit personnellement au Président : un des critères essentiels d’une véritable autonomie, c’est la compétence législative sans laquelle il ne saurait y avoir, pour nous, de point d’équilibre. Il faut donc un pouvoir législatif reconnu à la Collectivité de Corse. Le contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel évoqué dans le discours présidentiel montre que l’option est admise en son principe. Reste à savoir ce que seront les compétences concernées par ce pouvoir législatif, et selon quel calendrier nous arriverons au modèle d’autonomie de plein droit et de plein exercice prévu par la délibération votée à une très large majorité par l’Assemblée de Corse le 5 juillet dernier. Cela fait partie de la deuxième phase de discussions désormais ouverte.

  • Vous l’avez dit, la notion de Peuple corse est absente. Une déception ?

Nous savions depuis le début qu’intégrer la notion de Peuple corse, qui est pour nous centrale, directement dans la Constitution pose une difficulté juridique majeure. Par contre, que le Président de la République se soit déclaré prêt à ce que l’article ou le titre dédié à la Corse mentionne expressément une communauté historique, culturelle et linguistique, ce qui est en soi la définition d’un Peuple, constitue un pas immense pour un État historiquement jacobin. Cette avancée ouvre la voie à une reconnaissance constitutionnelle et juridique de ce que nous sommes collectivement, et doit également permettre à la loi organique de reconnaître et mettre en oeuvre des droits spécifiques.

  • Ne redoutez-vous pas le veto du Sénat ?

J’ai confiance en notre capacité à convaincre les forces politiques françaises et les parlementaires français, toutes familles politiques confondues. Je les sais profondément démocrates et je suis persuadé qu’ils écouteront ce que le suffrage universel et le Peuple corse ont dit et décidé. Le fondement de la démocratie, c’est le respect du fait majoritaire. S’agissant du Sénat, j’ai d’ores et déjà rencontré les présidents des groupes LR et Union centriste, pour de premiers échanges qui ont vocation à se poursuivre. Une entrevue est prévue avec le président Larcher, que j’ai félicité pour sa réélection, la semaine prochaine. Un vrai travail de conviction commence, il a toute sa légitimité démocratique et va porter ses fruits, car nous sommes dans le sens de l’histoire, celui qui permettra de sortir de la logique de conflit qui a empoisonné les relations entre la Corse et la République depuis plus d’un demi-siècle.

  • D’autres régions veulent les mêmes prérogatives… 

Je respecte et comprends l’aspiration de nombreuses régions, qui se traduit souvent par une demande de décentralisation plus large. Mais ce qui se passe en Corse ne peut pas être mécaniquement applicable ailleurs. Non, la Corse n’est pas une région de droit commun, y compris comparativement à des régions à forte identité. Nous ne sommes pas non plus la Nouvelle-Calédonie, même si le peuple Kanak est un peuple frère. Nous sommes la Corse, une île de Méditerranée avec un Peuple, une histoire, une langue, une culture. Et bientôt un statut d’autonomie original adapté aux besoins et aux enjeux de la Corse. 

  • Après le discours présidentiel, les élus de droite ont, comme vous, applaudi le chef de l’État. Ça ne vous contrarie pas ? 

Je veux y voir l’expression d’une volonté de construire ensemble. Nous avons les uns et les autres des efforts à faire pour trouver les voies et moyens d’un accord politique qui permette à chacun de considérer que ce qu’il pense essentiel est préservé. Les nationalistes ne représentent pas tous les Corses, même si nos idées sont aujourd’hui majoritaires par la volonté du suffrage universel. Notre vocation, notre responsabilité, et notre devoir, et singulièrement les miens, sont de nous adresser à tous les Corses. De chercher à en convaincre le plus grand nombre possible, et de trouver les points d’équilibre qui permettront à toutes les forces vives de notre île, dans leur diversité, de s’engager avec confiance sur le chemin ouvert. 

  • Pour ce faire, Emmanuel Macron vous donne tout juste six mois pour vous accorder sur un texte constitutionnel : c’est jouable ? 

C’est le délai fixé pour arriver à un titre ou article dans la Constitution, mais aussi à la rédaction d’un projet de loi organique qui définit le statut d’autonomie. 

  • Votre rédaction idéale ? 

C’est celle qui réunira le plus large consensus, tout en intégrant ce pour quoi des générations de femmes et d’hommes, dont nous sommes les héritiers, se sont battus depuis des décennies. Définir cet accord et le faire valider, y compris au 3/5ème par le Congrès, est un défi qui s’apparente à une course d’obstacles, mais j’ai confiance dans la capacité collective de notre peuple à les surmonter. 

  • Avant fin 2024, les Corses seront consultés par référendum sur le projet de réforme constitutionnelle. Vous êtes serein ? 

Il faut toujours faire confiance au peuple, et respecter ses choix. Si demain nous proposons une réforme constitutionnelle, un statut d’autonomie, de nouvelles perspectives sur les plans économique, social, culturel et politique, il est normal que le peuple soit consulté et, in fine, il aura raison. Nous sommes lucides sur les difficultés qui nous attendent mais il y a aussi la force de la volonté et la contagion de l’espoir. Nous allons réussir.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°36 (octobre 2023) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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