La Lettre | “La Corse maritime a tout pour réussir”
Riyad Djaffar compte parmi les interlocuteurs les plus assidus de la chambre. À la barre de la Direction de la Mer et du Littoral de Corse, cet officier de la Marine nationale, qui a ses racines familiales dans l’île, « accoste » les sujets qui naviguent entre les récifs de l’actualité.
- La Direction de la Mer et du Littoral de Corse a été créée il y a deux ans. Qu’est-ce qui a motivé son apparition dans notre paysage administratif déjà bien peuplé ?
Ce nouveau service de l’État, créé en effet en octobre 2021, a pour objectif de rassembler sous un même toit l’ensemble des compétences maritimes et littorales de son ressort exercées en Corse. L’idée était de proposer un interlocuteur unique vis-à-vis des autorités mais aussi des partenaires institutionnels ou économiques comme l’est la chambre de commerce et d’industrie. Nous traitons le sujet portuaire puisque nous disposons des sept capitaineries des ports de commerce de l’île dont la CCI est la puissance exploitante et, à ce titre, nous travaillons avec la Collectivité de Corse, les compagnies maritimes et l’ensemble des acteurs portuaires, pilotes, lamaneurs, remorqueurs, etc. Tout ce qui a trait à la gestion de la mer et du littoral dont la gestion du domaine public maritime, les sujets d’environnement marin, l’aide aux filières maritimes comme les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, mais également le volet régalien comprenant les contrôles en mer et la lutte contre les pollutions. Le soutien aux acteurs institutionnels sur des projets maritimes ou littoraux, qu’ils sont susceptibles de conduire, entre également dans notre périmètre d’intervention. Dans ce cadre- là, nous apportons un accompagnement technique et financier à destination des chambres consulaires ou des communes lorsqu’elles portent des projets structurants. Les innovations en matière de mouillages pour mieux préserver l’environnement en sont une illustration parmi d’autres.
- Nous y sommes. Le projet porté par le CCI de Corse sur l’installation de coffres éco-conçus d’amarrage dans le golfe d’Ajaccio fait polémique. Quelle est votre position sur le sujet ?
La position de l’État est connue et elle est très claire. Le Préfet maritime de la Méditerranée a pris des mesures de protection importantes des écosystèmes marins. Le mouillage des navires de plus de 24 mètres est interdit sur des zones très étendues du littoral, notamment lorsqu’elles abritent des herbiers de posidonie. Le corollaire étant de pouvoir accueillir ces navires de grande plaisance sur certains sites de manière maîtrisée et respectueuse des écosystèmes notamment en mettant ces coffres en place. Lorsqu’un projet de mouillage organisé a du sens, comme hier celui de Bonifacio et aujourd’hui celui de la CCI pour la baie d’Ajaccio, nous le soutenons. L’activité est maintenue et la biodiversité marine préservée. Je précise que l’installation de ces deux coffres éco- conçus ne restreindra en rien l’accès à la plage.
- La controverse concerne aussi les bateaux de croisière. Elle vous engage ?
Non, pas directement. L’activité croisière relève de la compétence de la Collectivité de Corse, en sa qualité d’autorité portuaire et de propriétaire des ports, et de la chambre de commerce en tant qu’exploitant de ces derniers. Nous n’avons donc pas grand-chose à dire sauf s’il y avait un problème
de sécurité ou de santé publique, ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui puisque la qualité de l’air est surveillée par Qualitair Corse dont les relevés permanents et les études régulières sont de nature à rassurer la population et les institutions.
- Vous êtes à la tête d’un service déconcentré de l’État. Or, les transports et les infrastructures portuaires relèvent de la compétence de la Collectivité de Corse. Comment s’articule le travail en commun ?
L’articulation se conçoit selon nos compétences respectives. L’État a le contrôle du plan d’eau, ce sont nos agents qui autorisent ou pas les navires à faire escale en fonction de divers paramètres. La Collectivité de Corse, qui est l’autorité portuaire, anime, via la CCI, la partie économique et opéra- tionnelle du trafic, programmation, placement à quai, travaux d’extension et de sécurisation, etc., mais en étroite collaboration avec les services de l’État pour s’assurer que tout se passe bien. À ce stade, nous avons de gros défis à relever, le principal étant, selon moi, la décarbonation progressive de l’activité maritime dans les ports.
- Dès lors considérez-vous l’électrification des quais à Ajaccio et Bastia comme étant une priorité ?
J’y vois en tout cas une étape incontournable pour parvenir à l’amélioration des conditions d’accueil des navires en termes de bilan carbone mais aussi d’impact sur les riverains. Nous devons impérativement avancer sur ces sujets-là et l’État sera en accompagnement de la CCI. Les armateurs, eux, ont su anticiper en adaptant leur flotte à ce type de dispositif et il serait dommage que la Corse reste à la traîne des grands ports de la Méditerranée dont les quais sont électrifiés ou en voie de l’être. Oui, il faut aller de l’avant car ce projet prendra du temps avec toute une série de travaux à phaser et à orchestrer entre, d’une part, le producteur de l’électricité EDF SEI, et, d’autre part, les collectivités locales concernées et la chambre de commerce. On peut aller plus loin encore, en étendant ces technologies aux engins de manutention et à d’autres services portuaires. Tout ce qui peut faire de la Corse une vitrine de la transition environnementale des ports doit être mis en œuvre.
- Quelle est votre regard sur la gestion des ports par la CCI de Corse ?
En tant qu’observateur et partenaire, je note que les installations portuaires fonctionnent avec un exploitant qui trouve toujours une solution chaque fois que des difficultés surgissent et elles ne manquent pas, ne serait-ce que celles liées aux conditions météo et aux aléas de plus en plus ardus à affronter. Je considère la gestion portuaire de la chambre rigoureuse et pragmatique.
- Elle a élaboré d’importants projets pour des ports plus sûrs et moins polluants. Nous citerons l’aménagement du fond de Baie d’Ajaccio et Portu Novu à Bastia. Là encore, quel regard portez-vous ?
Le regard de l’observateur attentif. Ces projets, qui impliquent des enjeux financiers importants, dépendent de l’arbitrage du territoire, la Collectivité de Corse et les deux communes concernées. Les ports sont les poumons économiques de la Corse par lesquels passent les flux humains et les marchandises qui conditionnent toute l’économie insulaire. À ce titre, ces dossiers sont suivis de près.
- Une part significative des financements pourrait relever du PTIC de nouvelle génération annoncée par le Président de la République. Comment votre direction contribue-t-elle au choix des programmes ?
La Préfecture nous associe systématiquement pour donner un avis technique sur le bien-fondé des projets maritimes, portuaires, littoraux dont elle a été rendue destinataire à fin d’instruction dans le cadre du PTIC mais aussi du Fonds vert, un dispositif gouvernemental inédit pour accélérer la transition écologique dans les territoires, mais également du Fonds d’intervention maritime destiné à soutenir localement le développement d’activités maritimes durables. Ce dernier fonds a permis, par exemple, d’accompagner la commune de Porto-Vecchio à délester son golfe d’une trentaine d’épaves de navires pour préserver la biodiversité et sécuriser la navigation.
- La Corse devrait-elle se doter d’un Parlement de la Mer comme l’a fait la région d’Occitanie ?
La question renvoie une fois encore aux compétences de la Collectivité de Corse. En Occitanie, le Parlement de la Mer est une éma- nation de la Région pour aménager un espace qui fédère l’ensemble des filières maritimes autour de projets communs et d’actions concertées. Si demain, la Collectivité de Corse et les acteurs maritimes du territoire éprouvent le besoin de créer ce type d’instance de propositions, pourquoi pas, d’autant que la Corse n’a pas de cluster maritime. Un petit territoire comme le nôtre a tout pour réussir dans ce secteur, des armateurs solides, un tourisme maritime à canaliser mais à fort potentiel, un secteur piscicole de renommée internationale, des plateformes de recherche de renom, une université de Corse très en avance sur toutes les questions inhérentes à la biologie marine, Stella Mare en particulier, un lycée maritime qui développe son offre de formation. Ce ne serait pas une mauvaise idée de mettre tout ça en musique…
- Mais comment les activités économiques littorales, nautisme, pêche, aquaculture, paillotes, etc. vont-elles évoluer en Corse avec les contraintes environnementales et climatiques de plus en plus prégnantes ?
Il n’y a pas de secret, il va falloir être dans l’anticipation et l’adaptabilité, se donner les moyens de prendre les bonnes mesures et investir dans les dispositifs d’alerte face aux phénomènes climatiques dont la Corse souffre de plus en plus fréquemment, comme la tempête dramatique survenue le 18 août 2022. La CCI de Corse a un rôle déterminant sur ce sujet, notamment sur le port de Bastia où elle investit pour avoir des informations météo fiables et ainsi gérer les entrées et sorties de navires de manière très fine et dans les conditions les plus optimales de sécurité. Les modalités d’accès au chenal vont aussi évoluer avec un nouveau balisage. Nous travaillons de concert avec la chambre tous les jours ou presque. L’État, par ailleurs, déploie des bouées météo au large de la Corse qui vont sensiblement améliorer la qualité des prévisions. Enfin, il incombe aux acteurs économiques, qui sont à proximité du littoral, de mieux adapter les périodes d’activités. Nous sommes à leur côté pour les aider dans leur réflexion.
- Quels sont les dossiers sur lesquels vous planchez actuellement ?
Nous en avons quelques-uns sur le feu ! Le plus emblématique et d’actualité concerne la préparation de la saison estivale 2024 avec l’Umih Corsica et l’ensemble des socioprofessionnels du tourisme pour la gestion des plages. Récemment encore, une réunion s’est tenue chez Monsieur de Préfet pour mettre en place les éléments qui vont guider nos actions d’accompagnement et de contrôle de l’utilisation des plages. L’objectif commun est de trouver le bon équilibre entre activités commerciales, protection du littoral et libre accès aux plages pour le public. Nous y travaillons tous les ans en amont et de manière concertée.