La Lettre | « La Corse est promise à un bel avenir économique », Olivia Grégoire

La Lettre | « La Corse est promise à un bel avenir économique », Olivia Grégoire

La ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, a passé plus de quatre heures à l’hôtel consulaire de Bastia. Si elle a enfourché son cheval de bataille du moment, la simplification administrative, elle a pris le temps d’échanger avec les chefs d’entreprise, notamment sur le tourisme, de faire la promotion du retour du commerce dans le rural et déclaré son adhésion pleine et entière au transfert de tutelle à la Collectivité de Corse. Entretien

  • Quel bilan global tirez-vous de ces deux jours de visite en Corse ?

Une chose m’a frappée dès la première fois. La Corse une terre de contrastes. Il existe peu d’endroits dans notre pays où la montagne tombe dans la mer. C’est aussi un peuple d’accueil et d’hospitalité. Il y a des ombres au tableau, c’est vrai, mais aussi beaucoup de lumière. Je ne nie pas les difficultés, particulièrement celles liées à l’insularité. Toutefois, en écoutant les élus locaux et les acteurs de toutes les filières, je mesure leur envie, leur dynamisme, leur enthousiasme. Toutes les rencontres que j’ai faites, avec les chefs d’entreprise mais aussi les élus, me confortent dans le sentiment que la Corse est promise à un bel avenir économique, notamment dans le tourisme, parce que la lumière y est plus forte que les ombres.

  • Le tourisme, dites-vous. Vos échanges avec les socio-professionnels vous ont-ils éclairée sur le bilan médiocre de la saison en Corse, à contre-courant des bons résultats enregistrés partout ailleurs ?

La  Corse  demeure  une  terre  de  destination essentielle pour son savoir-faire et ses innombrables trésors, naturels et patrimoniaux, j’oserais dire sans équivalent ailleurs en France. Les échanges poussés avec les acteurs du secteur sont venus étayer ma conviction que le tourisme vit des mutations profondes,  marquées  par  des  changements significatifs dans les comportements que la Corse expérimente de façon plus aigüe que bien d’autres régions. La réalité, c’est que depuis le Covid, les touristes ne consomment plus les vacances comme avant. Les départs ne sont plus concentrés l’été ou à la période de Noël mais s’étalent tout au long de l’année. Les Français partent plus souvent, moins longtemps et moins loin, en privilégiant la montagne – qui a enregistré une croissance de 7 % – et ils vont moins souvent au restaurant. La Corse n’a pas connu de décrochage en termes de traversées, la baisse est infinitésimale, mais la fréquentation hôtelière a été plus faible, en partie à cause de l’inflation et des répercussions sur les prix, en partie en raison de l’essor de la parahôtellerie. Ceci dit, le tourisme, c’est une politique de l’offre. Ici, on sait faire depuis toujours et je n’ai aucune inquiétude sur la capacité des professionnels du tourisme en Corse à adapter leur offre.

  • La parahôtellerie, ce sont des locations de meublés et de résidences secondaires qui poussent comme des champignons au détriment de l’hébergement marchand. Que peut faire l’État pour rectifier le tir ?

L’État n’a jamais fléchi dans ses missions de contrôle, mais j’ai conscience du phénomène que vous évoquez, vécu ici comme une grosse préoccupation. Aussi, il faudra être particulièrement attentif aux débats qui interviendront prochainement sur la proposition de loi, portée notamment par la députée bretonne Annaïg Le Meur, relatif à la fiscalité des meublés touristiques*. La voix des territoires y sera entendue dont celle de la Corse à travers ses parlementaires que je sais pugnaces quand il s’agit de défendre les intérêts de leur terre.

  • Autre attente forte des hôteliers : le crédit d’impôt investissement qui, en raison de brides européennes, ne fonctionne pas pour la rénovation des établissements. Le gouvernement peut-il y remédier ?

C’est un dossier qui nous a été remonté et sur lequel nous allons initier les réflexions en concertation avec tous les acteurs et parties concernés.  Le recrutement de personnels qualifiés est un autre problème récurrent. La CCI de Corse porte le projet de création à Ajaccio d’une grande école hôtelière. Vous y adhérez ? J’adhère pleinement au projet de cette grande école qui, à mon sens, aurait dû exister depuis longtemps pour au moins deux raisons. D’abord, la Corse, je l’ai dit, est une terre d’hospitalité et de tourisme. Ensuite, il est indispensable que les travailleurs corses, les jeunes en particulier, bénéficient des fruits de ce tourisme. Sur six mille saisonniers, cinq mille traversent chaque année la mer pour y travailler, c’est une hérésie. Nous avons ici une jeunesse viscéralement attachée à ses racines, qui veut y vivre et y travailler avec des salaires dignes de métiers qualifiés, particulièrement dans le monde du tourisme de plus en plus compétitif.

  • Vous souscrivez également au transfert de tutelle, inédit en France, de la CCI de Corse et de la Chambre régionale de Métiers et de l’Artisanat de l’État à la Collectivité de Corse ?

Je suis de très près le dossier de ce transfert aux côtés de Bruno Le Maire qui, après avoir validé et soutenu le projet, a décidé, en plein accord avec le président du Conseil exécutif de Corse, d’en accélérer la procédure. Le principe est définitivement acquis. Tout l’enjeu aujourd’hui consiste à affiner les modalités en étroite collaboration avec la Collectivité de Corse et les chambres consulaires. Il nous reste douze mois de travail et je ne doute pas qu’on y arrive.

  • Vous avez pris le bâton de pèlerin de la simplification administrative. Les derniers gouvernements s’y sont cassé les dents. Il n’y a rien de plus compliqué que de simplifier, comme l’a dit Jean Dominici, le président de la CCI de Corse dans son allocution ?

La remarque du président Dominici est tellement éclairante que je l’ai reprise volontiers dans mes propos. La simplification, c’est d’abord un état d’esprit du législateur, qu’il soit parlementaire ou membre du gouvernement. Elle doit devenir davantage encore un réflexe, un esprit de l’État. Ces dernières décennies, on a pensé simplification une fois que le mal était fait. Or, la meilleure façon de simplifier c’est d’éviter d’empiler les règles et les normes. Je suis donc favorable à un traitement préventif de l’inflation normative, et je travaille actuellement sur ce qu’on appelle le « test PME » qui permettrait aux députés, aux sénateurs et aux ministres, avant chaque texte de loi, de prendre en considération l’impact des normes sur les petites et moyennes entreprises en termes de temps, de manque à gagner mais aussi de pertes financières. C’est un réflexe que l’Europe appelle de ses voeux pour les toutes prochaines années. La France est souvent en avance sur la législation européenne, elle est le premier pays européen à avoir mis en oeuvre le « devoir de vigilance », qui impose aux grandes entreprises de prévenir les atteintes aux libertés fondamentales, à la santé, la sécurité, l’environnement, dans tous les secteurs d’activité, et dès 2024, je ferai tout pour mettre en place le dispositif de simplification tel qu’il existe déjà en Allemagne et aux Pays-Bas.

  • Vous agissez aussi en faveur de l’aide à l’installation de commerces dans les zones rurales. Selon vous, deux communes corses sur trois sont éligibles. Pourtant, il y a pénurie de candidatures. Où est le problème ?

Avec un brin d’humour, je rappellerais aux porteurs potentiels de projets dans les communes rurales corses, que 100 % des gagnants ont tenté leur chance. Quelle que soit la motivation, le désir de s’installer pour un jeune, le besoin de reconversion professionnelle pour un adulte, l’attrait de la Corse de l’intérieur, peut-être même l’attachement au village de ses racines familiales, l’ambition de faire grandir son petit commerce rural, l’État est là pour la soutenir concrètement : jusqu’à 75 000 euros d’aide pour le commerce en dur et jusqu’à 20 000 euros pour le commerce itinérant. Après avoir longtemps prospéré dans l’île avec la constance d’une tradition, le commerce itinérant est en voie de disparition mais je crois dur comme fer à son retour. J’attribuerais plutôt l’insuffisance de candidatures, y compris émanant des maires, à un déficit d’information, notamment sur l’aide de 5 000 euros qu’octroient les préfectures pour répondre dûment à l’appel à projets. La bonne nouvelle, c’est que les postulants potentiels disposent encore d’un délai de deux ans pour s’engager. À ce jour en France, ce sont 72 départements et quelque 150 000 Français qui, en moins d’un an, vont voir des commerces revenir dans leur village.

  • Mais dans un territoire hyper-rural, à la faible densité démographique, qui souffre du déficit d’équipements publics, aux temps de parcours démesurés, ne faudrait- il pas envisager des aides plus importantes qu’ailleurs ?

J’entends les arguments, mais nous sommes typiquement dans le cadre des thématiques qui sont au cœur du processus de Beauvau, initié par le chef de l’État, engagé dans la perspective d’une évolution institutionnelle de la Corse et de sa mention dans la Constitution.

  • Justement, vous avez inscrit votre visite dans l’île dans la continuité de celle du Président de la République. Vous souhaitez, comme lui, une autonomie « à la corse » ?

Dites-vous bien que tout ce que souhaite le Président de la République, je le souhaite aussi avec autant de force et determination.

 

*Le texte prévoit notamment de réduire sensiblement l’abattement fiscal très avantageux ont bénéficient les meublés de tourisme et les chambres d’hôtes.

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°39 (janvier  2024) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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