La Lettre | Entretien :” Nous faisons preuve d’une maturité dont je suis fier”

La Lettre | Entretien :” Nous faisons preuve d’une maturité dont je suis fier”

Large tour d’horizon du projet d’entrée de ville avec Stéphane Sbraggia. L’aménagement du territoire, l’économie et l’actualité politique sont aussi au cœur de l’interview avec le maire d’Ajaccio qui met en exergue ses liens privilégiés avec notre institution…

  • Considérez-vous la refonte complète de l’entrée de ville d’Ajaccio et de son littoral urbain comme le projet-phare de la mandature ?

En tout état de cause, ce projet de réorganisation territoriale  est  fondamental.  Il  a  aussi  une dimension  pédagogique  et  didactique  dans  la mesure où il dit ce qu’est devenue la ville d’Ajaccio dans  sa  scission  en  deux  grands  ensembles urbains : la ville historique et une ville dite moderne qui s’est développée, on l’admet sans détour, au gré d’une urbanisation mal maîtrisée au cours des décennies ayant précédé l’adoption d’un nouveau Plan local d’urbanisme en 2019. A quoi s’ajoutent des équipements structurants qui se sont déplacés à l’instar notamment de l’hôpital. En définitive, cette ossature vertébrale que constitue l’entrée de ville est dégradée et doit être repensée, recréée même, en termes de mobilité. Ajaccio étant une mosaïque de quartiers, le risque était tangible que certains d’entre eux se retrouvent entravés ou enclavés comme les quartiers des Cannes et des Salines. Il est clair que la problématique centrale est celle de la reconnexion territoriale avec des questions de mobilité qui sont essentielles. Alors oui, on peut parler d’un projet-phare pour la cité au sens figuré mais aussi au sens propre dès lors qu’il a vocation à éclairer la conduite pour d’autres initiatives de ce type dans l’île.

  • Vous avez d’ores et déjà une idée de la durée de réalisation et un ordre de grandeur du niveau d’investissement financier ?

À  ce  stade,  pas  encore.  Les  seuls  éléments calendaires évoqués concernent les études dont les premières sont programmées cette année.

  • Le calendrier des élections ressemble à une mer d’huile. Ça favorise le dépassement des divergences politiques pour créer une union sacrée ?

Ce que je peux vous dire en toute sincérité, c’est que sur les grands sujets qui revêtent un caractère d’intérêt  général,  nous  nous  entendons  sur  la nécessité de travailler ensemble. Indépendamment des  dissensions  politiques  et  des  rendez-vous électoraux, il faut quand même que nous soyons en capacité, déjà chez nous, de travailler main dans la main sur des sujets importants. Cela a  en même temps le mérite d’envoyer à l’extérieur un message consensuel positif, surtout dans une période où nous sommes sollicités pour nourrir le débat sur des évolutions institutionnelles. Nous faisons preuve d’une maturité dont je suis fier et qui, là encore, peut être source d’inspiration pour d’autres territoires.

  • Dans quelle mesure les activités économiques maritimes, la plaisance, le nautisme, la pêche, vont connaître un nouvel élan ?

Effectivement, les questions relatives aux activités littorales  et  au  fonctionnement  portuaire  sont intégrées dans la réflexion du futur aménagement. Il  est  évident  que  lorsque  la  partie  maritime du  territoire  aura  retrouvé  une  cohésion  dans toutes ses dimensions, notamment spatiales et intermodales, elle sera plus accessible et plus attractive. De fait, tout ce qui a trait à l’économie locale et maritime bénéficiera d’une dynamique nouvelle et maîtrisée.

  • Le téléporté s’intègre-t-il parfaitement dans le projet ?

Difficile d’imaginer meilleure intégration. La première gare, la gare Saint-Joseph, est celle justement d’entrée de ville et du pôle multimodal. Je précise que le début du chantier du téléporté est imminent.

  • Le phasage du projet autorise-t-il, dans un délai raisonnable, les transferts des postes de dépotage vers le Ricanto et du fret à Saint- Joseph programmés de longue date par la CCI de Corse ?

Nous  avons  travaillé  très  en  amont  avec  la chambre de commerce. Tout ce que celle-ci avait prévu converge avec notre propre schéma. J’ai eu l’occasion d’échanger à maintes reprises avec le président Jean Dominici sur les points forts de notre coopération. Nous parlons d’une seule voix. Mais l’idée est d’avancer avec méthode, pas de manière décousue. Aussi, pour ce qui va se passer sur le port et dans le périmètre portuaire, il est prématuré de parler de calendrier ou de brûler les étapes opérationnelles de façon inconsidérée.

  • Restons encore un instant sur le port. La Ville d’Ajaccio a été désignée cheffe de file en  Méditerranée  du  programme  européen environnemental « Qualiporti ». Peut-on en tirer un premier bilan ?

Il n’est pas encore arrivé à son terme, mais en matière de traitement des déchets et des eaux usées, ce qui constitue la matrice du programme, des réalisations concrètes ont été faites sur les ports d’Ajaccio.

  • Au final, c’est toute l’image d’Ajaccio qui va être métamorphosée. Les Ajacciens auront-ils leur mot à dire ?

Comme ils l’ont toujours fait ! La concertation s’effectuera  au  fur  et  à  mesure  des  choix d’aménagement structurants. À titre d’exemple, le projet de la place du Diamant et du parking a été inspiré par la population. Elle n’y a pas seulement adhéré, elle se l’est carrément approprié…

  • C’est surtout le concept de transport vertueux et mobilité douce qui est privilégié. Mais les Ajacciens, comme tous les Corses d’ailleurs, sont-ils prêts à cette révolution culturelle ?

Ils le sont, croyez-moi, et ils ont eu l’occasion de s’emparer eux-mêmes de cette opportunité. Lorsque nous avons fait le parc-relais à la Miséricorde, ils se sont rendu compte qu’avec une navette à leur disposition toutes les six minutes, ils n’avaient plus besoin de leur voiture pour faire cent mètres ! La Ville a conscience de la nécessité de disposer d’un stationnement résidentiel, mais si on offre aux Ajacciens la possibilité de poser leur voiture – et donc de neutraliser le pot d’échappement – et d’opter pour le transport collectif voire le vélo ou la marche, ils ne s’en détournent pas, comme l’atteste,  du  côté  du  Ricanto,  de  Saint-Joseph ou des Sanguinaires, la fréquentation croissante des voies de promenade et des pistes cyclables. L’alliance réussie entre santé publique et cadre de vie fait naturellement consensus.

  • Ce projet est un argument fort pour obtenir le statut de Métropole ?

C’est déjà la démonstration de notre capacité à se développer à travers des programmes d’exception accomplis  dans  l’unité.  Depuis  le  discours  du

28 septembre dernier à l’Assemblée de Corse du président de la République, qui a soutenu l’idée  de  métropolisation  de  la  communauté d’agglomération d’Ajaccio, nous progressons dans le processus avec le soutien inconditionnel de Laurent Marcangeli, notre député et pionnier de

l’initiative. L’enjeu est de répondre à une double question : pourquoi une Métropole et pourquoi faire ? Un document à ce sujet est sur le point d’être finalisé et servira de base de discussion avec l’État et la Collectivité de Corse. Le projet est bien sur les rails.

  • Le commerce de proximité qui a beaucoup souffert des crises successives va-t-il bénéficier d’un nouvel élan ?

Il a déjà bénéficié d’une politique évènementielle ambitieuse et, contrairement à une idée reçue, il n’y a pas ou très peu de vacances commerciales. Ajaccio  est  dotée  d’un  commerce  dynamique, galvanisé par un gros turn-over, en particulier les commerces de bouche, restauration, produits régionaux,  etc.  Nous  avons  réussi  dans  notre stratégie qui a consisté à développer une offre diversifiée  avec  le  choix  clairement  assumé d’un commerce qui fait notamment la part belle à  l’artisanat  d’art  emblématique  d’Ajaccio,  ce qui  permet,  non  pas  d’être  en  concurrence avec  les  enseignes  de  la  périphérie  mais  en complémentarité.

  • La Ville, qui présente une faible densité, a-t- elle  les  capacités  d’absorber  la  croissance démographique que d’autres redoutent tant ?

En  termes  de  logements,  notre  volonté  est d’organiser les conditions d’un retour des familles actives dans le centre-ville, lui-même vecteur de prospérité de l’économie locale. Nous ne sommes certes  pas  une  ville  universitaire,  mais  nous voulons développer des filières professionnelles avec des formations haut de gamme. C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu, après SupDesign,  la  création  de  Mira,  une  école d’ingénieurs  informatiques  et  robotiques.  La question du logement est intrinsèquement liée. Une ville dynamique, c’est d’abord une ville où on vit. Quant à l’évolution démographique, c’est un fait planétaire, et je ne peux pas à la fois revendiquer l’attractivité de ma ville et en filtrer l’accès avec des péages. Il y a effectivement un seuil à ne pas franchir, je ne suis pas en mesure de le quantifier aujourd’hui mais, au moment où je vous parle, on à accueillir et à se développer.

  • Dans le même esprit, vous soutenez la création d’une grande école hôtelière au Palais des Congrès ?

Absolument ! Nous souhaitons plus que tout son ouverture prochaine et je peux vous dire ici que la CAPA sera un partenaire de premier plan.

  • Quelles relations entretenez-vous avec la CCI de Corse ?

Elles sont excellentes. Nous sommes associés sur plusieurs dossiers et nous avons pris l’habitude de se rencontrer et d’échanger très régulièrement. Mieux même, nous avons désormais le réflexe d’anticiper et de se consulter avant de lancer une programmation. Le projet dont il est question aujourd’hui, c’est, de part et d’autre, une compétence Ville et une compétence CCI de Corse. Ne pas s’entendre serait quasiment une condamnation à l’échec.

  • Êtes-vous favorable à l’évolution statutaire prévue par le gouvernement pour l’intégrer à la Collectivité de Corse ?

Je n’ai pas d’opposition de principe. Les modalités de ce transfert ne sont pas encore connues. Ce que je peux rappeler à ce stade, c’est que je suis en phase avec le président du Conseil exécutif lorsqu’il se prononce contre l’hypercentralité et l’hyperpuissance…

  • Êtes-vous également en phase sur le statut d’autonomie ?

La question de l’autonomie, je l’ai toujours envisagée par rapport à la capacité de notre territoire à être autosuffisant sur des filières, sur des métiers, sur des fonctions. La réforme institutionnelle, c’est ce qui vient après. Quand vous élaborez un PLU, vous faites d’abord vos choix d’aménagement et vous adaptez le réglementaire ensuite. L’autonomie, c’est un projet de société et un projet de société ne se construit pas seul dans un bureau. Nous ne sommes pas nationalistes mais pas hostiles pour autant à ce statut. Un pouvoir réglementaire doit se concevoir à partir d’un diagnostic partagé entre toutes les parties prenantes. C’est le message délivré.

ENTRETIEN PARU DANS L’ÉDITION N°40 (février  2024) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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