La Lettre | L’entretien : « Notre modèle économique a atteint son plafond de verre »

La Lettre | L’entretien : « Notre modèle économique a atteint son plafond de verre »

Sans l’autonomie et la réforme fiscale qui en découlerait, la Corse amorcerait un déclin. C’est la conviction de Louis Pozzo di Borgo, président

de la Communauté d’agglomération de Bastia

  • La CAB inaugure dans quelques jours un tierslieu à Toga. Vous en attendez beaucoup ?

En Corse, on peut espérer beaucoup d’un tiers-lieu de 2 000 m2 dédié à l’innovation et dont la vocation est d’être un tremplin pour de jeunes entreprises. Nous lui avons adossé un Fablab avec des machines de fabrication numérique et des réseaux pour échanger des fichiers dans le monde entier. En partenariat avec la CCI de Corse, nous espérons attirer un grand nombre d’entreprises innovantes – nous mettons des bureaux en location à leur disposition même pour des durées de quelques jours – ainsi que de jeunes créateurs. L’intérêt de les héberger dans un même lieu, c’est de leur permettre d’échanger leurs idées, leur vision, leurs méthodes de travail, peut-être même de s’associer, en tous les cas, créer une véritable émulation créative au service de l’entreprenariat.

  • Et son rayonnement n’est pas circonscrit au territoire communautaire ?

Les investissements sont notamment portés par le Fonds de territorialisation de la Collectivité de Corse, et le principe de ce tiers-lieu, c’est de s’ouvrir le plus largement possible, sur l’entreprenariat du Cap Corse, du Nebbiu, de Marana-Golo, de la Balagne, bref, de toute la Haute-Corse voire au-delà.

  • La Communauté d’agglomération de Bastia est liée par convention à la CCI de Corse. Comment les actions communes se conçoivent-elles ?

Elles se concentrent sur l’économie locale. Une des plus emblématiques est l’accompagnement des commerces du centre-ville pendant la fermeture du tunnel, mais je pourrais citer le soutien aux commerces des quartiers sud ou encore les évènements commerciaux comme la foire aux bonnes affaires, place Saint-Nicolas. Nous sommes à l’écoute des associations de commerçants, nous les soutenons financièrement dans leurs campagnes promotionnelles.

  • Au-delà des opérations ponctuelles qui constituent des ballons d’oxygène, comment globalement sauvegarder les commerces de proximité ?

La Ville de Bastia a fait une étude intéressante sur la typologie des enseignes. Des commerces sont sur-représentés, d’autres sous-représentés ou pas représentés du tout. Emmanuelle de Gentili, en charge de la politique de la Ville, a élaboré un plan, en concertation avec Serge Linale, notre délégué au développement économique, qui permet de préempter certains commerces et de filtrer les autorisations d’ouverture. Intra-muros, Bastia ne souhaite plus de commerces saisonniers qui ferment pendant neuf mois, freinant la dynamique de la ville-centre. L’objectif est de repositionner le bon commerce au bon endroit plutôt que d’empiler les lieux de restauration rapide et les petits négoces de saison. Il fallait changer de paradigme.

  • Vous êtes un membre influent de la majorité territoriale.  Quel  regard  portez-vous  sur  le transfert de tutelle de la CCI à la Collectivité de Corse ?

La CCI va apporter un savoir-faire reconnu dans le domaine commercial, son cœur de métier, et dans la gestion des infrastructures de transport. Le principe est de préserver l’emploi, les missions, le savoir-faire. Ce rapprochement s’effectue dans le consensus, sans préjudice pour l’identité et les prérogatives de chacun. Sans ce transfert, de grands groupes français ou étrangers pourraient postuler à la gestion de nos ports et de nos aéroports. Que la Corse perde la maîtrise de ses concessions est inconcevable. Il faut s’en prémunir car la menace de cannibalisme n’est pas une chimère. Il suffit de voir le nombre de ports méditerranéens qui ont déjà succombé à la prédation de majors chinoises.

  • Vous vous êtes toujours positionné en faveur du projet Portu Novu qui n’arrive pas à sortir des cartons. Que se passe-t-il ?

Je fais partie en effet de ceux qui ont toujours défendu le projet. Le débat au sein de la majorité et au-delà doit maintenant aboutir. S’il faut agrandir et moderniser le bassin existant et créer des voies nouvelles de circulation, hors tunnel, pour désenclaver Bastia, pourquoi pas, l’alternative est sur la table. Sinon, ce sera Portu Novu. Quoiqu’il en soit, le temps du choix est venu.

  • Que pensez-vous de la création d’Amparà Méditerranée, la marque commune de la CCI et de la CMA, pour rendre plus large, plus cohérente et plus efficace l’offre de formation ?

La formation est quelque chose qui me tient réellement à cœur et cette initiative est remarquable pour répondre au besoin impérieux de cibler des métiers qui sont sous-représentés, j’en fais moi-même l’amère constat à la CAB pour certains postes, et de mettre en place des formations dédiées, notamment en direction des jeunes. En lien avec les institutions et le monde de l’entreprise, ce sera le bon outil pour offrir à court terme le bon débouché dans la bonne filière.

  • La création d’une grande École de tourisme et de l’hospitalité vous réjouit ?

Elle devrait exister depuis longtemps mais, d’un autre côté, c’est peut-être le bon timing car le tourisme a beaucoup évolué ces dernières années et doit relever tous les enjeux de la transition écologique. Par ailleurs, la Corse revendique un tourisme choisi, de qualité, qui s’étire sur douze mois, avec des atouts à faire valoir, un tourisme qui vit à travers des professionnels investis, responsables, qui ont un sens profond de l’hospitalité. En définitive, cette école arrive au bon moment pour amener un nouveau regard sur la destination, en proposant un cursus pédagogique haut de gamme grâce auquel les personnels auront acquis le savoir nécessaire pour promouvoir l’esprit de découverte, de partage et de respect, au détriment du tourisme de masse et de consommation.

  • La Corse vit un moment-clé de son histoire avec la perspective d’une inscription dans la Constitution et un statut d’autonomie. Êtes-vous confiant ?

Le modèle économique de la Collectivité de Corse et des autres collectivités, intercos et communes, a atteint son plafond de verre. Sans autonomie de gestion et sans capacité législative d’adapter la fiscalité, on va même amorcer un déclin et compromettre l’avenir de notre jeunesse. Les recettes fiscales s’affaissent, celle, attractive, sur le tabac va s’éteindre. La Corse n’est pas sur un pied d’égalité avec les autres régions françaises qui, par exemple, ont des recettes très dynamiques grâce à l’inflation puisque 55 % de leur budget, c’est la fraction de TVA reversée par l’État. En Corse, ce n’est que 25 % et on a la double peine car les dépenses, carburant et autres, sont, pour leur part, hypersensibles à l’inflation. S’il n’y a pas une vraie réforme fiscale par le biais de l’autonomie, nous serons en grande difficulté. L’intérêt de tous, c’est qu’il y ait de vraies avancées. Après, c’est une question de curseur, sur la langue corse, la reconnaissance du peuple, le statut foncier, le pouvoir de légiférer. Au-delà de toutes considérations politiques, la réforme est indispensable.

 

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°41 (février  2024) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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