La Lettre | Entretien avant Éric Coquerel

La Lettre | Entretien avant Éric Coquerel

« Il faut répondre aux problèmes posés »

Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale tire le bilan de ses échanges avec les acteurs économiques. Le député LFI, pour sa part, revendique haut et fort le statut d’autonomie.

  • Quels enseignements tirez-vous de la réunion à la CCI et des témoignages des acteurs économiques ?

Ils m’ont tous été très utiles car on était dans le concret, le vécu. Nous avons été confrontés à des tranches de vie qui m’ont éclairé sur les forces et les faiblesses du tissu économique de l’île. Maintenant, la question est de savoir comment on peut régler les problèmes posés. Beaucoup se résument à une zone d’achalandage réduite qui s’appauvrit toujours plus, je pense en particulier au boulanger-pâtissier chez qui on ne vient plus acheter les gâteaux le dimanche parce que les gens n’en ont plus les moyens. Plus globalement, j’ai pu mesurer le niveau de la qualité entrepreneuriale. Je schématise à peine en disant que les Corses qui partent ailleurs créer des entreprises font fortune tout en ayant envie de continuer en Corse, le lien n’est pas coupé, un état d’esprit très ancré et tout à fait remarquable. J’ai aussi apprécié le message délivré par le président des artisans pour faire vivre et survivre le rural. Le projet clair et argumenté du président de la chambre d’agriculture m’a aussi plutôt impressionné…

  • Il a été beaucoup question d’une inégalité avec les entreprises du Continent compte tenu des surcoûts générés par l’insularité. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale y est forcément sensible ?

J’ai parfaitement reçu le message. Manifestement, la fiscalité actuelle ne règle que très partiellement la question et il convient de la faire évoluer en prenant garde que ça ne profite pas à des monopoles privés. Ce qui peut être un soutien à l’activité économique, pour des raisons bien senties car le pays a intérêt à avoir une Corse forte et prospère, doit être au service d’une démarche vertueuse, préservée de toute pratique mafieuse. En cela, la mise en garde de M. Orsini était pertinente comme toute son intervention qui m’a beaucoup marqué. Par ailleurs, si nous parlons bien d’autonomie et pas d’indépendance, il doit y avoir des compensations de Paris. Le devoir de solidarité nationale doit continuer.

  • Vous avez évoqué au cours de la réunion, la place de la Corse en Méditerranée. Qu’est-ce que vous en espérez ?

J’ai bien vu que les tentatives de la Corse pour s’ouvrir à son environnement méditerranéen, notamment l’Italie à travers la Sardaigne et la Toscane, se heurtaient à des verrous administratifs. Je le vois comme un vrai problème qui n’est pas propre à la Corse mais à la manière dont la France gère également les Dom-Tom. Au lieu de profiter de la situation d’entités territoriales dans des espaces géographiques privilégiés, la France se met en repli par crainte de je ne sais quelque velléité d’indépendance. Mais c’est une erreur terrible. Je trouve dommage que notre pays ne profite pas de la position centrale de la Corse afin d’en faire une tête de pont en Méditerranée pour renforcer ses échanges dans beaucoup de domaines. Il ne faut surtout pas en avoir peur.

  • La CCI de Corse était le dernier rendez-vous d’une visite marathon de deux jours. Quel bilan global en tirez-vous ?

Organiser des auditions de toutes les parties prenantes, c’est ce que fait systématiquement la commission des finances lorsque se prépare un nouveau texte législatif. La commission est diverse dans sa composition et il n’était pas question pour elle de négocier dans le cadre du processus sur l’autonomie mais d’anticiper sur une potentielle législation fiscale car ce qui existe aujourd’hui en termes de fiscalité n’est pas satisfaisant. Tous les objectifs ont été atteints. Nous repartons avec une vue sinon complète du moins synthétique de la situation fiscale de la Corse mais aussi des problèmes liés au foncier, au logement, aux transports, à la gestion des déchets, etc. La Corse compte des personnalités politiques de grande valeur. Aucun de nos interlocuteurs, du maire du petit village rural au président du Conseil exécutif, n’a omis de resituer son propos dans son contexte historique, preuve d’une connaissance empirique des choses et d’un souci profond de l’intérêt général.

  • Au bout du compte, un statut d’autonomie, ce serait utile pour la Corse ?

Cette fois, c’est le député LFI qui s’exprime. Je me suis toujours prononcé en faveur d’une évolution de l’article 74 de la Constitution, car à bien des égards, la situation de la Corse ressemble à celle des territoires ultramarins. Ce que nous ne voulons pas, c’est une modification qui disloque le cadre d’une République, une et indivisible. Pour moi, les deux conditions sont réunies pour doter la Corse d’un statut spécifique : une multiplication de singularités fortes et la volonté du peuple. Cela fait plusieurs élections que l’autonomie suscite une adhésion largement majoritaire. On ne peut pas faire comme si elle n’existait pas.

  • De cette visite au pas de charge, qu’est-ce que vous avez appris que vous ne sachiez pas déjà ?

Déjà une chose par rapport au but de notre déplacement : les dérogations fiscales, en théorie avantageuses pour la Corse, ne remplissent pas leur objectif. Je citerai les crédits d’impôts mal ciblés et mal adaptés. Nous allons demander des éclaircissements à l’État car il n’est pas certain que tous les flux financiers produits par ces dotations et ces dérogations restent en Corse. On doit aussi s’interroger, pour certains secteurs, sur le rôle joué par des monopoles privés.

  • Le principal marqueur de l’autonomie, c’est le pouvoir législatif. Dans les tuyaux, une habilitation générale pour adapter les lois. La production de textes législatifs serait limitée et encadrée : ce scénario vous convient ?

Oui, mais la question essentielle reste en suspens : qui habilite et qui décide de ce qui relève du ressort d’une création législative, le Parlement ou la Collectivité de Corse ? Tout doit aussi être encadré par un principe de non-régression sociale et écologique. Les lois créées ou adaptées doivent aller dans un sens de progrès, pas vers quelque chose qui transformerait la Corse en une gigantesque zone franche, même teintée de vert. L’Assemblée de Corse a mis des garde-fous, mais on ne sait pas qui saisira les rênes du pouvoir à l’avenir…

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°42 (mars  2024) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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