[CORSE-MATIN] Port de Bastia, la sécurité en rade

[CORSE-MATIN] Port de Bastia, la sécurité en rade

L’avarie du Paglia Orba, sérieusement endommagé lors de sa manœuvre d’accostage, lundi soir, pose une nouvelle fois la problématique de la dangerosité de l’infrastructure portuaire. Un dossier plus que jamais urgent dans le secteur maritime, qui n’en finit plus de faire débat.

Le problème de Bastia ? C’est simple : c’est le seul port français, voire européen, où l’on se retrouve dans cette situation. Frédéric Eddeline n’y va pas par quatre chemins. En poste depuis 2009, le commandant du port de commerce ne connaît que trop bien les contraintes liées à la gestion au quotidien de l’infrastructure bastiaise, régulièrement exposée à des conditions extrêmes. « Nous avons entre trente et quarante jours de vent par an, ce qui complique souvent les manœuvres, explique-t-il. Le plus souvent, on déroute, on avance les heures, on retarde, voire on change de navire pour pouvoir entrer dans le port. »

Sauf que, parfois, ça coince… Lundi soir, après une dizaine d’heures en rade au large de la ville, le Paglia Orba de la Corsica Linea a profité d’une rare accalmie, au cours d’une journée venteuse, pour tenter d’accoster. Problème : au moment de se présenter à l’entrée du port, une rafale a déstabilisé le navire qui a percuté un haut-fond. Victime d’une avarie, le bateau est depuis immobilisé à quai.

Entre 6 et 8 traversées déroutées par mois

Loin d’être un simple fait divers, cet accident met une fois de plus en exergue la dangerosité du port de Bastia. Le sujet est ancien et met tout le monde d’accord. Pour preuve, un rapport de l’Assemblée de Corse daté de juillet 2019 note noir sur blanc que « la sécurité maritime y est tous les jours mise à l’épreuve ». De mémoire de marins, cinq accidents sont déjà survenus dans le bassin ces quinze dernières années. Le dernier en date remonte à juillet 2017 : le Pascal-Lota de la Corsica Ferries faisait les frais d’une météo capricieuse.

Mais les professionnels ne comptent plus les frayeurs au moment de franchir la passe. « Lorsqu’il fait mauvais, nous sommes le seul port qui n’est pas en capacité d’abriter des bateaux, appuie Stefanu Venturini, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), en charge de la concession portuaire. C’est un comble. S’il y a, au final, assez peu d’accidents, c’est surtout parce qu’il y a beaucoup de déroutements.» Chaque mois, entre six et huit traversées vers Bastia sont déroutées en raison de la météo. En moyenne, une cinquantaine de retards ou d’annulations est enregistrée par an.

Depuis de nombreuses années, la CCI défend la nécessité de sécuriser le port et de l’adapter aux nouveaux enjeux de la navigation. Plusieurs scenarii sont sur la table. Le sujet est à l’étude depuis… 2002. Quelle que ce soit l’option qui prévaudra, une chose est certaine : elle devra faire entrer dans la modernité ce vieux port construit il y a plus d’un siècle pour des bateaux trois fois plus petits. « Il y a un manque évident de corrélation entre la taille du port et la dimension des navires d’aujourd’hui fait savoir Cyrille Albaladejo, chef du service de pilotage des ports de Haute-Corse. Les bateaux sont de plus en plus grands et les armateurs ne fabriquent pas des navires sur-mesure pour le port de Bastia… »

Les compagnies maritimes qui le desservent en savent quelque chose. Le port de Bastia n’est pas seulement présenté comme le premier port insulaire en termes de trafic passagers et de fret, il est aussi – de loin – le plus étroit et l’un des plus ventés. Résultat : lorsque les conditions sont défavorables, la manœuvre n’est possible qu’avec des bateaux inférieurs à 180 mètres de long. Une dimension qui tend à se faire de plus en plus rare, si bien que les navires les plus modernes acquis par les compagnies sont aujourd’hui positionnés sur les lignes d’Ajaccio. « Le diamètre du cercle d’évitage du port actuel est de 230 mètres hors tout précise Stefanu Venturini. La plupart des navires ont donc seulement 25 mètres de marge de chaque côté pour réussir leur manœuvre »

Des compagnies sur le qui-vive

Une situation qui se complique singulièrement en cas de coup de vent, contraignant les armateurs à redoubler de vigilance. « Les jours de grand vent, je supervise l’arrivée des bateaux à 6 heures du matin depuis la webcam du port, car c’est toujours un exercice compliqué, même avec des pilotes expérimentés », souligne Pierre-Antoine Villanova. Directeur général de la Corsica Linea, celui-ci connaît bien le sujet. Il plaide également pour une nouvelle infrastructure répondant à la fois aux risques sécuritaires mais également aux considérations écologiques. Les nouvelles unités modernes et moins polluantes étant en effet peu compatibles avec le port de Bastia.

Un chapitre environnemental loin d’être négligeable à l’heure du dérèglement climatique. « Avec la recrudescence de conditions météo de plus en plus défavorables, cela ne devrait pas aller en s’arrangeant, observe Michel Biancamaria, directeur régional de La Méridionale. Chaque année, le nombre de jours où le port de Bastia est difficilement accessible augmente… »

Un bassin étroit, un port mal exposé, des bateaux qui ne cessent d’évoluer… l’avarie du Paglia Orba masque difficilement l’obsolescence reconnue de la principale porte d’entrée maritime de la Corse. En marge des constats maintes fois évoqués, depuis lundi soir, résonne une fois de plus sur les quais du port de Bastia le refrain de l’attentisme. « Il y a quinze ans, on nous parlait delà d’un nouveau port, souffle un professionnel aguerri. On parle d’en construire un autre à moyen terme. Or un port ne se fait pas en un jour. En attendant, on va continuer à bricoler… »

JULIE QUILICI-ORLANDI ET ANTOINE GIANNINI