La Lettre | Délégation parlementaire : Plaidoyer pour l’équité territoriale

La Lettre | Délégation parlementaire : Plaidoyer pour l’équité territoriale

La rencontre entre les députés de la Commission des Finances et nos artisans et chefs d’entreprise a été propice à convaincre sur la réalité du fossé qui existe entre la Corse et le Continent et que ne comblent pas les dispositifs fiscaux actuels, incomplets et mal adaptés. 

Conduite par Éric Coquerel, la délégation de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale s’est immergée dans les eaux agitées de l’économie corse. La rencontre avec les acteurs économiques à l’hôtel consulaire de Bastia a pris pour les parlementaires une dimension pédagogique, voire même introspective car, pour nombre d’entre eux – ils l’ont admis à la fin des débats – plusieurs idées reçues ont été chassées de leur esprit, pour leur retour au Palais Bourbon. La bonne foi a prévalu sur les convictions politiques de chacun. Ils ont pu notamment prendre conscience, au fil des interventions et des témoignages, de la dichotomie latente entre les avantages fiscaux accordés à l’île, sous la forme de crédits d’impôts investissement ou de réfaction de la TVA sur certains produits, et fait le constat objectif d’une situation d’iniquité entre les artisans et entrepreneurs de la Corse avec ceux du Continent. Ils ne sont pas sur un pied d’égalité. La Méditerranée qui les sépare est à la fois une promesse d’avenir et un océan de contraintes. Dans leur diversité, nos hôtes législateurs l’ont bien compris.

LES ARTISANS, UNE PLUS-VALUE HUMAINE

Dans son propos introductif, Jean Dominici avait clairement planté le décor : l’insularité est une chance et un handicap et l’économie insulaire un sujet d’espoir et de frustration. « Le monde de l’entreprise et de l’artisanat ne veut pas de perfusion publique mais la mise à parité avec de nouvelles perspectives budgétaires et fiscales que peut permettre cette évolution institutionnelle qui nous donne aujourd’hui l’opportunité et le privilège d’échanger avec vous. » Jean-Charles Martinelli, artisan dans l’âme qui sillonne les routes sinueuses de la Corse profonde comme l’artisan itinérant qu’il n’a jamais cessé d’être, a réussi, par sa force de conviction, à toucher les cordes sensibles. Le président de la CMA défend 20 000 entreprises artisanales et le double d’emplois : « Elles représentent une plus-value, économique et humaine, pour cette terre. Sans elles, la ruralité perdrait son souffle vital. Si on les abandonne, sans soutien, sans mesures fiscales pour les aider à tenir et attirer les jeunes qui aspirent à vivre au village, la Corse de l’intérieur est vouée à devenir un désert stérile. »

Les parlementaires présents qui pensaient que l’aspiration de la Corse à avoir un statut d’autonomie pouvait s’apparenter à une fuite en avant, une surenchère idéologique, ont pu, au moins en partie, réviser leur jugement : les différentes obstructions de l’insularité génèrent une prudence et une résilience qui brident l’esprit d’entreprise. Et alimentent la crainte de prédations venues de l’extérieur. À ce titre, le président du Conseil exécutif, qui a accompagné les députés de la Commission des Finances, a insisté sur le rattachement à venir de la CCI à la Collectivité pour garder la maîtrise publique des ports et des aéroports.

« CRÉER ET DÉVELOPPER ICI, C’EST LA GALÈRE »

« Nous sommes d’abord venus pour écouter, pour comprendre et voir, en matière de fiscalité, s’il est possible d’envisager des évolutions. » Éric Coquerel, qui nous a accordé un entretien, aura vu, à l’instar de ses collèges, son voeu largement exaucé. Au gré des récits vécus, les préjugés ont été dépassés : le besoin impérieux d’importer à grande échelle, de se suréquiper, de surstocker, avec un marché étroit, une ingénierie embryonnaire et l’impasse du recrutement et de la transmission, fait qu’au bout du compte, le chiffre d’affaires subit, selon les secteurs, une atrophie de 7 à 12 %. Sans même parler de la baisse de moral.

« Créer et développer en Corse, c’est une galère, ça relève du sacerdoce » : Pierre Orsini, chef d’une entreprise familiale et vice-président de la chambre, a fait toucher du doigt ce déphasage entre la Corse et le Continent où il a trouvé l’espace, les locaux, les cadres, le tapis rouge administratif et le réseau routier qui lui ont permis de faire prospérer ses activités loin de chez lui !

Olivier Valery le confirme : la Corse cumule les complications avec l’effet d’une caisse de résonance ; le matériel roulant accuse un niveau d’usure plus rapide, le tourisme n’a pas accès aux ressources pour se moderniser, le coût de l’énergie et des matières premières est plus élevé que dans le reste de la métropole alors même que les salaires sont plus bas et le pouvoir d’achat plus érodé. Par ailleurs, arpenter en permanence des chemins semés d’écueils sans pouvoir compter sur une intelligentsia juridique et technique, une simplification administrative ou des crédits d’impôt mieux adaptés, ne donne ni la force, ni le temps, ni les moyens de répondre aux appels à projet d’où qu’ils viennent. Et ce n’est pas avec le boulet de la disparité attaché à ses chevilles que la Corse économique et sociale refera surface et rayonnera en Méditerranée, un des rares points d’accord entre Emmanuel Macron et Éric Coquerel… Selon une récente estimation gouvernementale, les avantages fiscaux de la Corse sont estimés à 400 M€ et les handicaps de l’insularité entre 700 M€ et un milliard. Revisiter la fiscalité, pouvoir adapter les textes législatifs aux spécificités du territoire, canaliser efficacement les flux de la solidarité nationale : voilà quelques solutions opérantes. La CCI de Corse ne pouvait pas espérer mieux pour se faire entendre au plus haut niveau de l’État que les membres de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale.

Article disponible en version Corse

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION N°42 (mars  2024) DE LA LETTRE – CCI DE CORSE

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